hapitre 3 La mouette
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Nous nous levons avec ce très grand cri de l’homme dans le vent (4)
Une adepte du longe- côte(2), a suivi dans le journal l’affaire du chien écrasé. Elle n’a pas lu l’article paru le lendemain en droit de réponse. Or voici qu’en sortant d’une longue marche dans l’eau, elle découvre une mouette écrasée sur la plage .Elle en déduit que c’est surement l’œuvre d’un char à voile que la presse a vilipendé la veille. Photo de l’oiseau mort et des traces de char, affirmation sans preuve de la culpabilité d’un char, rappel de l’événement du chien écrasé, accusation d’un sport trop rapide d’après elle.etc. Et voici un hebdomadaire régional qui prend fait et cause pour les pauvres mouettes. L’article, met au pilori les pilotes irresponsables et appelle à légiférer pour limiter la vitesse. La SPA renchérit.
Trop, c’est trop. Cette fois les pilotes sont furieux. Les chars nettoyés au jet d’eau, les voiles rentrées, ils se rendent en combinaison, sans retirer bottes et casques au vestiaire des longe- côte. Le ciel est rouge du coté du couchant. C’est l’heure de la promenade du soir en mer. Ils se retrouvent nez à nez avec une troupe nombreuse d’hommes et de femmes en combinaisons étanches et bonnets noirs..Fernand attaque :
-Qui d’entre vous s’est permis de nous accuser d’avoir écrasé une mouette sous les roues d’un char ?
Grand silence.
-Qui a écrit cet article accusateur ? Fernand tend le journal.
Silence encore !
Alors ça éclate ! Chaque pilote y va de son couplet ! Une philippique en règle :
-Ca commence à bien faire ! On ne vous reproche pas de marcher sur des crevettes ou d’écraser des étoiles de mer, comment pouvez vous être certains que c’est un char qui a écrasé une mouette ?
---Nous on roule sur le sable et vous marchez en mer, dit un autre, on ne se gène pas, pourquoi cette campagne de presse calomnieuse ? Les irresponsables ne sont pas les pilotes de char mais ceux qui colportent des accusations infondées dans l’intention de nous nuire. Nous exigeons des excuses du club des longe- côte ou du moins de la personne qui a écrit ce torchon. Nous voulons des excuses publiques en forme de démenti.
-Ce n’est pas parce que vous vous déguisez en GIGN plongeurs pour entrer, parcourir et sortir de la mer, que vous devez faire la loi sur la plage.
Une dame alors, courageusement, sort du rang :
« C’est moi qui ait trouvé la mouette morte, écrasée. Il y avait des traces de roues de char à proximité. J’en ai déduit sans doute un peu vite que c’était un de vous qui l’avait écrasée. Je ne pensais pas que l’article dans le journal allait vous faire un tel tort après la mort du chien.
- Un chien on doit le tenir en laisse, mais les mouettes elles, sont libres comme l’air, libres comme nous de jouer avec le vent.
-Oui, mais les mouettes ont la blancheur de l’innocence. Que serait notre plage sans elles ?
-Vous auriez du venir nous voir avant d’alerter la presse .Croyez vous que les pilotes foncent délibérément sur les mouettes pour les écraser ? Vous nous prenez pour des irresponsables immatures ?
-Nous aimons la vitesse grisante et la compétition loyale, c’est vrai .C’est la loi du sport. Tout club en est là. Les pilotes ont besoin de se confronter à leurs limites, de dépasser leurs performances, de s’affronter à d’autres clubs. Nos compétiteurs sont d’autres pilotes .On ne fait pas la course avec et encore moins contre des mouettes.
-On ne donne pas les commandes d’un char à n’importe qui. Croyez bien que s’il y avait parmi nous un pilote assez demeuré pour s’amuser à persécuter les mouettes, on ferait le ménage.
- Bon, Le mal est fait, maintenant. Faire un démenti serait pire que mieux. Nous exigeons quand même une lettre d’excuse affirmant la légèreté de l’accusation pour que l’on puisse s’expliquer avec la presse et montrer notre bonne foi à la fédération s’il y a des suites.
-D’accord, ce sera fait. Vous aurez la lettre demain, je reconnaitrai vous avoir accusé sans preuve solide et présenterai mes excuses..
-Nous acceptons tes excuses. Sache que les mouettes n’ont pas besoin comme les chiens d’être tenues en laisse .Elles sont nos sœurs, elles jouent comme nous avec le vent. Elles sont nos amies, nos alliées .Nous n’avons qu’une voile, elles ont deux ailes pour pratiquer l’esquive.
-Même en le voulant, un char n’est pas assez rapide pour surprendre habituellement une colonie de mouettes. Elles s’envolent avant qu’on puisse les atteindre. Vous devriez savoir, vous qui marchez dans la mer que « même quand l’oiseau marche on sent qu’il a des ailes » (3).
Après cette remarque poétique, une réflexion d’un pilote philosophe :
- Vous les longe cote vous faites le contraire du gros béta de la chanson et des petits bateaux qui vont sur l’eau, vous savez, ceux qui marcheraient s’ils avaient des jambes. Vous vous immergez dans l’eau et faites marcher vos jambes. Le vent est votre allié seulement quand il vous pousse dans le dos .Nous ,arriére ou debout ,il est toujours notre complice. « Personne ne nous tient de force la face dans le vent, Vous, vous fréquentez le lit du vent comme un vivier de force et de croissance(4), les dieux marchent ils avec vous quand les vents vous mordent le visage ?
« Le lit du vent comme un vivier de force et de croissance ».Voila qui décrit justement l’ambition des longe côte. Ils se branchent en s’immergeant sur les énergies vitales qui agitent et tourbillonnent la mer .
.Un long silence s’installe après la plaidoirie. Un silence indicible après l’engueulade et cette jolie phrase qui parle de la mer comme un vivier de croissance.
La conclusion viendra du ciel comme une invitation à la paix. Voyez l’épilogue . Samedi prochain.
(2) longe côte :nouveau sport pratiqué sur les plages de la mer duNord . Il consiste à marcher dans la mer dans les courants ou à contre courant,dans le vent ou contre le vent avec de l'eau jusqu'à la ceinture même en plein hiver,même sous la pluie.On me signale l'utilisation de la pagaie qui fait du longe cote, un sport athlétique complet.
(3) Lemierre ,fastes et usages de l'année.
(4) Michel Serre