Fouille sur Marne nouvelle de Louis Fernand Olbec
Chapitre 1 l’enterrement
Les villages s’étagent de loin en loin sur la rive droite avec le canal, le chemin de fer et la gare. La grande route est sur la rive gauche et souvent même, elle grimpe sur le plateau. Comme il n’y a pas de pont dans ce village, il faut le prendre en amont ou en aval. Le chauffeur du corbillard amenait la grand mère qui avait fermé les yeux chez sa fille bien loin dans le Nord .Nous étions vingt et cent à l’attendre devant l’église aux pierres grises .Le chauffeur n’a pas trouvé de pont . Le corbillard a filé jusqu’à la préfecture, voyant son erreur il a fait demi tour, prit le premier pont venu et descendu la vallée, rive droite de village en village, souvent retardé par des machines qui roulaient au pas de champ à champ. La grand mère faisait un tour d’honneur, une dernière ballade dans un pays qu’elle aimait bien. Un pays d’immenses forets dans cette Gaule « chevelue » décrite par césar° "le pays gallique", la forêt sombre qui terrorisait les légions romaines, mais aussi le plateau prospère et les descentes en lacets dans la vallée .Le corbillard se trainait ainsi à travers des villages endormis aux petites maisons de journaliers ,corons de pierres grises éclairés de buissons de roses blanches . Pendant cette dernière ballade de la grand mère , on a échangé bien des banalités sur la petite place autour de la fontaine .Un bavardage bien nécessaire pour occuper le temps et marquer l’intérêt que les uns portaient aux autres et les autres aux uns .C’était l’attente de « conjurés »° dans ce pays qui se vide mais refuse de mourir alors même qu’il enterre les siens, un pays ou l’on tient°. C’était l’attente joyeuse d’une grande mère qui prenait tout son temps. Certains évoquaient la vie de la défunte à qui ils attribuaient toutes les qualités que l’on trouve habituellement chez ceux qui s’en vont, sans oublier, un comble, son sens de l’exactitude.
Marcel s’étonne de l’absence de Michel le voisin de la défunte quand justement il arrive, pose son vélo sur le contre fort de l’église, retire ses pinces en bas des pantalons.
« -Je reviens de l’usine, ça presse, le chef ne m’a donné qu’une heure pour assister à l’enterrement. Mais je vois que vous n’avez pas encore commencé. Que se passe t il ?
« -On attend ! Ta voisine n’est pas pressée, elle prend son temps. Il fait trop beau pour s’enfermer sous la dalle. Et toi ? Tu travaille encore ?
« -Oui, pourquoi ?
« - Pourquoi, pourquoi ! On raconte que tu as trouvé un trésor. Pourquoi s’embêter à travailler quand on est riche ».
« - On raconte beaucoup de choses, Crois tu que je roulerais en vélo si j’étais devenu riche comme Crésus ? Crois tu que je continuerai à travailler ? Pendant que tu dormais ce matin, j’étais déjà en route à quatre heures ».
L’arrivée du corbillard met fin à la conversation .Le plus impatient, c’est le curé qui depuis une heure regarde nerveusement sa montre alors que les gens du village sont tout heureux d’avoir pu échanger des nouvelles et retrouver des amis. Un vrai bonheur dans la douceur de ce bel après midi de juin. Une heure, une bona hora , une bonne heure , un vrai bon-heur à causer de tout et de rien avant d’ accueillir la grand mère , chanter l’absoute en son honneur et l’accompagner sous les tilleuls du cimetière.
° cité par JP Kaufman « remonter la Marne » Fayard