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LA RIVIERE chapitre 4

ch.4  Frugalité : un dîner de fortune

Résumé : Seul  avec quatre chevaux blancs sur une ile formée  par  une crue soudaine de la rivière

Je fouille les sacs étanches accrochés à la selle des 3 cavales puis je les vide et j'étale tout sur les aiguilles de pin. Il y a là une carte et une boussole, une boîte de bêtises de Cambrai, une carte de visite, des gants de cuir, un carnet avec un crayon, un petit couteau, un tire bouchon, des mouchoirs en papier et trois petites gourdes d'eau. D'abord la carte. Je l'oriente avec la boussole. Le trait bleu et sinueux de la rivière la parcourt d'un bout à l'autre. Je n'ai qu'à suivre son cours pour trouver le promontoire où je suis. Les courbes de niveau sont claires, seule la partie du bois que j'ai parcouru avec ma cavalerie est surélevée. Je suis bien  sur une île. Le village à part sa partie supérieure où se trouvent l'église et la poste doit être sous les eaux lui aussi. Victor et Louis n'ont sans doute pas pu atteindre la barque et ont du se réfugier avec tout le monde dans les hauteurs. J'ouvre la boîte de bêtises. De voir les chevaux manger me donne faim mais la « bêtise » est à consommer avec modération, c'est connu. J'ouvre le carnet : à la première page, un simple prénom 'Béatrice', une date celle de la veille, quelques lignes d'une écriture large. « Premier jour du rallye de la « duchesse ». Notre quadrige a brillé par sa rapidité, nous avons gagné la première manche. Pierre est de première force pour lire une carte et s'y retrouver malgré les pièges tendus. Nous bivouaquons le long de l'Authie   ». Je regarde la carte de visite retrouvée dans une autre sacoche. C'est Pierre Petitjean, lieutenant de cavalerie, Ganfroville, Eure. Que s'est il passé durant le bivouac ? Les chevaux ont été surpris par la crue sans doute, mais pourquoi étaient ils sellés ? Ont-ils pris peur de quelque chose d'insolite ? Se seraient ils sauvés avant de se retrouver piégés par la rivière ? Les cavaliers ont-ils été piégés eux aussi ?  L.M.   : est ce les initiales de quelque duchesse ? Je scrute la carte ; Il y a un lieu dit « la duchesse » le long de la rivière, il est souligné en rouge. Ce doit être une étape du rallye ? Combien d'équipes de cavaliers participaient à ce rallye ? Que sont ils devenus ? Je continue à sucer les bêtises mais elles ont le don de creuser l'appétit plutôt que d'apaiser la faim. Laissant mon escouade sous la haute protection de la rivière en crue, je  me mets en route sans bien savoir ce que je pourrai trouver à me mettre sous la dent. Au petit chemin, je prends à droite. C'est le même bois de chêne mais le taillis est en noisetier ; je commence par cueillir les noisettes à ma portée puis j'incline les branches et remplis mes poches. Ce sera toujours ça. Au moment où je lâche une longue branche, je découvre à mes pieds un cèpe de Bordeaux grand comme deux mains en coupole. Je tombe la chemise, ma belle chemise de chasse qui a souffert depuis le ramassage du dernier colvert cette nuit dans la vase du marais et qui porte les traces vertes de mes embrassades avec les branches basses du chêne. Je l'étale sur le chemin et y pose délicatement le champignon. J'en  trouve encore trois petits et un gros. C'est la première fois que je ramasse des champignons en chaussettes. Je m'arrête avant de prendre une épine dans le pied. Cela suffit. La chemise est pleine, je la referme en nouant les manches. A mon retour, le quadrille m'attend. Quatre têtes se redressent et se tournent vers moi avant de replonger dans les luzernes. Je remets la chemise, elle est toute imprégnée de l'odeur des cèpes. Je m'ingénie à faire rôtir mes cèpes à la flamme. Je les tiens en bout de canif et me brûle les doigts. Je démonte alors les brides et dispose les mors sur deux branches. Ca me fait une grille de barbecue originale. Il manque l'ail et le sel, une bonne manière sans doute d'apprécier la douceur légèrement sucrée de mes cèpes. Si les secours tardent encore il faudra que je retourne faire provision de champignons cet après midi. Je ne me vois pas assouvir faim, soif et solitude à traire mes cavales comme le cavalier tartare qui porte à ses lèvres « le lait  qu'au matin il tire du flanc de sa monture » (1). Je crains et c'est le comble que l'eau ne vienne à manquer comme les vivres sur le petit navire. J'ai déjà avalé deux petites gourdes. Il ne m'en reste qu'une que je mets précieusement de coté. Quand aux chevaux, je les emmènerai tout à l'heure au bout du petit chemin. L'eau leur sera accessible et sans risque

 1) St John Perse : « chanté par celle qui fut là »

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