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  • pardon

     

    CALCUL ET PARDON

    « Combien de fois faut-il pardonner ? Jusqu’à 7 fois  », demande Pierre ?

     « Non pas 7 fois mais 70 fois 7 fois » lui répond Jésus. (1) Cela fait 490 fois. C’est beaucoup mais finalement sur une vie, c’est très peu. Divisons 490 par 90(ans).Puis par 365 (jours).Cela revient à pardonner 0,01 fois par jour.

    Prenons l’exemple d’une mère de famille de 3 enfants qui sèche les larmes et dit « c’est tout », une fois dans la journée à chacun de ses 3 enfants. Calculez, vous verrez ! Elle fait 300 fois mieux. Sans me vanter, je crois que moi aussi je dépasse le chiffre avancé par Matthieu.

    Voyons d’autres exemples  de calculs  plus légers:

    -il y a des gens pressés qui, traversant une foule, vous bousculent et vous marchent sur les pieds en disant pardon, pardon, pardon ! C’est du 10 pardons à la minute. Les 490 pardons sont accordés avant que le soleil ne se couche sur la dernière colère (2)

    -il y a le maladroit qui vous verse la sauce sur le costume ou vous renverse le verre de vin sur la table et vous mouille le pantalon. «  Oh ! 1000 pardons, excusez-moi ! » Ces 1000 pardons à la seconde coûtent, il est vrai, moins chers qu’une note de pressing.

    -Il y a le propriétaire d’un Dauber man qui laisse son chien aboyer et vous mordre et qui candide, vous dit : « excusez le, il faut lui pardonner, d’habitude il n’est pas méchant ». (3)C’est le pardon « Ségolène » qui s’excuse pour les aboiements supposés d’un autre. Je crois honnêtement que l’on peut faire une soustraction.

    Comptabiliser  ces excuses  légères  et les assimiler au pardon vrai  seraient donc trop facile.

    Mais qu’est ce donc que le pardon vrai ?

    Les chiffres symboliques avancés par Matthieu nous donnent une indication. Le chiffre 7 évoque une certaine « complétude » (4). Multiplié par 70, il indique une «  hyper- complétude » et nous invite finalement à pardonner toujours et d’un pardon de plénitude, un pardon accordé sans calcul.

    Et voila la question qui rebondit :

    qu’est ce au juste qu’un pardon  vécu en plénitude ?

    -Ca commence par une ardoise qu’on efface : 

    -« On en parle plus, c’est tout » ! 

    -« Tes paroles ont sans doute dépassées ta pensée, je fais une croix dessus, tournons la page, mettons le compteur à »! 

    Effacer l’ardoise est relativement facile aux grands. En faisant preuve de magnanimité, il peut jouer au grand Seigneur. Cela flatte sa superbe. C’est plus difficile de bas en haut surtout quand sur l’ardoise, il y a une addition d’humiliations, il faut alors plus qu’un bon chiffon pour les effacer.

    Le pardon, c’est cela, mais c’est plus que cela.

    C’est plus que la simple décision d’oublier l’offense, plus qu’une ardoise effacée, c’est une ouverture à une relation renouvelée, un dialogue de nouveau possible après avoir fait la vérité, une confiance accordée avec une mission confortée comme Jésus le fit 3 fois avec Pierre.(5) Ce pardon là est chose difficile, surtout quand la passion s’en mêle. (6) Mais quelle énorme chose ! Il ouvre tout grand l’avenir après le clash de la dispute, le déchirement du conflit, les humiliations subies, les reniements douloureux.

    Ce qui est vrai du pardon de personne à personne est vrai aussi du pardon nécessaire après des périodes de violence entre peuples. Il suppose un long travail de mémoire pour faire la vérité sur les crimes commis de part et d’autre. Il s’interdit bien sûr d’instrumentaliser cette mémoire pour justifier d’autres crimes. Il suppose des hommes et des femmes de paix, tenaces, au caractère bien trempé qui aident leurs peuples à dépasser les rancœurs, les désirs de vengeance et la haine meurtrière pour construire ensemble un nouvel avenir. Certains y laissent leur peau comme Henri IV, Jean Jaurès, Anouar el Sadate, Menahem Bégin, Pierre Claverie. D’autres comme Mandela y ont perdu longtemps leur liberté et ces jours- ci Aung San Su en Birmanie risque la sienne. Ce martyrologe n’a pas fini de s’élargir, la paix est un combat et le pardon tue encore.

    En 1848, la République française a inscrit la Fraternité après la Liberté et l’Egalité sur les frontons des édifices publics. La deuxième République n’a duré que 4 ans, la Fraternité est restée gravée dans la pierre. Elle a mis au cœur de l’idéal républicain « une sortie de soi qui en appelle à l’autre »(7) Certains révolutionnaires de 48 étaient ils inspirés par l’Evangile ? C’est la thèse de Pierrard (8). Le christianisme, religion du pardon (9), serait il une clef pour ouvrir un avenir à l’humanité ? L’Evangile une « lumière pour le monde » ? (10) un   chemin de fraternité ? Oui, sans doute si les hommes et les églises s’en emparent et y jouent leur avenir à « 490 »  contre 1, soit « 70 fois 7 fois » pour tous.

    (1) Matt.ch.18/21.Cest un chiffre cher à Matthieu. : 7 demandes dans le Notre Père, 7 béatitudes, 7 paraboles. Ce n’est pas un chiffre sacré. Il n’y a de sacré que Dieu, mais il est employé de manière symbolique et désigne une certaine « complétude », une série achevée. Plus qu’un chiffre rond, c’est un chiffre consistant surtout quand il est multiplié par 10 fois lui même.

    (2) Ephésiens ch.4/26 : « emportez vous, mais ne commettez pas le péché : que le soleil ne se couche pas sur votre colère »

    (3)Ce pardon là pourrait se conclure avec bonheur par le pied au cul selon la formule bien connu  dans les cours de philo pour désigner un lapsus significatif : « Monsieur, mon pied, votre chien, ce n’est pas dans le sien, c’est dans le vôtre qu’il ira.»

    (4 J’emprunte ce terme à la logique en lui donnant le sens qu’il me plait de lui donner. Excusez moi, c’est mon coté anar et inventif. Voir note numéro 1

     

    (5) Evangile de St Jean ch.21/15 et16 .Par 3 fois Pierre a renié Jésus et le coq a chanté, par 3 fois après les événements, Jésus lui demande : «  Pierre m’aime tu ? », suivi d’une mission confortée : « Sois le pasteur de mes brebis » !

    (6) « Celui qui aime beaucoup ne pardonne pas facilement » Paul Claudel. L’Otage.

    (7) Levinas. L’autre, si j’ai compris le chantre abscons de l’altérité, c’est celui qui n’est pas de la famille, de la même couleur de peau, de la même religion, du même pays, du même bord, de la même classe.

    (8 Les pauvres, l’Evangile et la révolution Pierrard chez Desclée 77.

    (9)Matt ch.6/12 : « Pardonnez nous nos offenses comme nous pardonnons… » Cette demande au cœur du Notre Père ne fait il pas du pardon le centre du christianisme ?

    (10)Jean ch.8/12