L’arbre aux rubans qui parlent
« Un homme monte dans la montagne, de la haut il voit les oiseaux tomber comme la pluie. Les enfants du village montent ramasser les oiseaux et, à leur tour, vacillent et tombent. L’homme de la montagne voit mourir son village. »
C’était une des attaques au gaz de Saddam Hussein contre un village de la montagne Kurde. L’association d’artistes « pluie d’oiseau » est née de ce récit. Elle a créé «l’arbre aux rubans qui parlent » où les participants écrivent des messages de paix sur des rubans qu’ils accrochent à un arbre en même temps en France, qu’en Irak, à Calais et au Kurdistan irakien. Un apocryphe raconte qu’un jour Jésus façonne avec l’argile des bords du Jourdain des oiseaux, beaucoup d’oiseaux. Joseph lui fait des reproches car les juifs ne travaillent pas le jour du sabbat. Alors pour montrer qu’il est le maitre du sabbat et prince de la vie, jésus tape dans ses mains et les oiseaux s’envolent. J’imagine qu’ils vont se poser alors dans un « arbre aux rubans » et se mettent à chanter pour les hommes de paix et les enfants du village kurde, saints innocents tombés comme gouttes de pluie dans la montagne. Accrochés aux plagnes et aux frênes d’Albannette il n’y a pas de rubans ni heureusement d’enfants gazés qui tombent comme la pluie. En Albannette, pas de rubans aux arbres mais des cordes, solides aussières de bateaux à défier les siècles. Les enfants s’y accrochent et se balancent. Voir, affiché sur le panneau de la commune libre d’Albannette, ce qu’il en est de ces balancements.
ESCARPOLETTE ET BALANCINE
- Où sont les enfants ? C’est bien calme !
- Ne cherchez pas, ils sont à l’école !
- A l’école ? Durant les vacances ? Voilà bien des écoliers modèles !
- Oui, mais ils sont derrière l’école ! Ils se balancent comme des vergues au bout d’une balancine quand le grand temps fait tanguer le navire.
- D’autres font virer la balançoire ou poussent l’escarpolette.
- Les enfants s’amusent, les papys et mamys s’inquiètent.
« Faites bien attention, les enfants ! N’oubliez pas l’heure du goûter ! Ne vous salissez pas, on a de la visite ce soir.»
De temps à autre, mercurochrome et sparadrap et quelques larmes à sécher après les disputes ou les piqures d’orties. Voilà le dur métier de grand-père et de grand-mère dans un village où les enfants s’éclatent en toute liberté sans craindre les voitures. « La haut, à Albane, on dit que c’est le paradis des mulets, ici en Albannette, ce serait plutôt le paradis des enfants. » Quoique pour habiter au paradis, les enfants d’ici ne sont pas encore tous des anges ! Mais, ça vient ! A force de s’envoler dans les airs au bout de leurs cordes, ils ressemblent de plus en plus à des aptères(1).
Demandez à ceux qui avaient 10 ans dans les années 70, 80, 90 ou quand le siècle naissait de raconter leurs vacances en Albannette. Ils vous parleront de cabanes et de guerres pacifiques aux fusils de bois, mais aussi des travaux où ils se sont sentis utiles et reconnus : chercher 4 bouts de bois, ramener les courses du parking, remonter le pain du four au fournil, sonner la cloche de la chapelle, sortir le chien, décrocher le linge avant la pluie, donner la main pour aménager la maison et même dans les bons jours essuyer la vaisselle. S’ils ont quelque mémoire, ils vous parleront des ballades, du rocher d’escalade, de la via ferrata de Pontamaffrey ou de Valloire, des arêtes de la grande chible mais aussi de la cueillette des framboises, des myrtilles, des groseilles et des prunes avec les confitures qui suivent.
Vous qui passez par là, voyez la chance qu’ont les enfants d’ici. Chaque jour, ils inventent leurs jeux, échappent aux marchands de loisirs et s’éclatent gratuitement.
(1)Aptère : du grec ‘a’ privatif et ptéron: aile (sans aile) : ange sans aile ou puce sauteuse.