Carême et bonne humeur
L’oncle André, officier d’artillerie et dominicain « épinglé » derrière les barbelés , prêche un carême à ses frères prisonniers de guerre en Allemagne à l’oflag VI A. C’était en Mars 41.Il y a 73 ans, au siècle dernier. Sa première conférence souligne la gaité des prisonniers français malgré l’horizon fermé par les barbelés et les miradors. Fait prisonniers durant l’offensive allemande de l’été 40, ces officiers français d’une armée vaincue et humiliée étaient captifs depuis plus de 6 mois.. Ils ne riaient pas tous les jours, le menu était souvent bien maigre, le confort sommaire, les horaires spartiates mais la gaité régnait malgré tout.
Il commente un passage d’évangile ou Jésus recommande à celui qui jeûne et fait pénitence de se parfumer la tête .Le titre de sa première conférence de Carême est « Austére et Joyeux. »
« Quand vous faites pénitence et jeunez, ne prenez pas un air triste comme font les hypocrites ».(1) arborez au contraire des mines de bonne humeur , soyez en même temps austères et joyeux.
Ceux qui ont côtoyé l’oncle André ont dans l’oreille le souvenir de son rire sonore et cascadant. Il mettait en pratique ce qu’il prêchait.
« La gaité est bonne quand elle fleurit sur un tronc solide et net, quand elle équivaut à la liberté d’esprit d’un homme dont le jugement est assis et la volonté ancrée dans le bien. Alors, les mille petits accrochages de la minute présente ne dérangent rien à l’ordre profond de l’âme et permettent qu’on se divertisse un peu de tout. La gaité n’a ce caractère de légèreté dégagée, de transparence et de jaillissement que si elle sort d’un cœur déjà fixé dans la paix…..Il est bon de s’égayer des petits travers de la vie si c’est une preuve qu’on en accepte allégrement la gène et l’ennui, si c’est un témoignage de patience .
Il n’est pas mauvais qu’on donne libre cour aux tendances gauloises qui sommeillent dans tout soldat français, que les choses de la chair, vues sous certain jour provoquent le sourire mais à condition qu’on soit bien ferme soi même et décidé à marcher droit. Si le rire en ces matières devient cynique, s’il recouvre un manque total de respect pour la femme et l’amour, il n’est plus que le « hennissement » d’une luxure qu’on admet, qu’on recherche, qu’on attise. Qui osera dire qu’il s’agit d’une gaité française, d’une joie chrétienne ? (2)
Le hennissement d’une luxure ! Curieuse image d’un officier artilleur (et non cavalier ) pour désigner le rire gras de certaines chambrées .Il est quand même intéressant que le prédicateur fasse droit aux gauloiseries rabelaisiennes et au rire plus que poli qui les accompagne.
En conclusion l’oncle dominicain invite les officiers "épinglés" à garder la bonne humeur durant le carême. Il le fait avec le style de l’époque : « que le vase précieux de notre âme se vide de toute révolte contre Dieu ,qu’il déborde d’espérance et d’amour ; alors comme un vin généreux s’épanouit en une mousse pétillante ,et savoureuse ,il y aura au bord de notre cœur, une abondante et jolie gaité française ,pour la gloire de Dieu et le plaisir de nos frères » .(2) Voila ,un joli morceau de bravoure !
Que retenir pour ce carême 2014 ?
La bonne humeur d’abord. Que les chrétiens abandonnent leur « face de carême », manifestent leurs convictions dans la joie d’esprits libres. Refusent les rires gras des casernes qui s’alimentent de moqueries méchantes. Ils pourront alors, après 40 jours austères, trinquer aux vins pétillants de la fête dans des cœurs qui débordent d’espérance .
(1)Matthieu ch6/v 16 et 17
(2)Une paroisse derrière les barbelés , Les éditions du cerf . Textes recueillis par André Bonduelle et René Vieillard.
Aux éditions Persée un livre à se procurer avant l'été et à lire en vacances "Nouvelles forestiéres " de Louis Fernand Olbec .