Chêne et pin s'embrassent comme amour et vérité.
Sera t il chêne centenaire ?
Que se disent ils au petit matin ?
Le pin lui aussi fleurit et chante à sa façon la gloire de Dieu
"Les arbres des forêts dansent de joie"ps 95
Avec la forêt, j’ai un rapport quasiment charnel. Né au pied d’un chêne ou presque, je sens la sève des bois monter en moi au printemps et me descendre dans les pieds à l’automne. On est tous comme ça à la maison. On tient cela de notre père.
L’Aîné de mes frères n’a pas attendu d’être libéré de son travail pour planter le marais. Ses peupliers étaient déjà bien élevés quand à la retraite, il a chaussé ses bottes et ne les a pas quittées . Il a fallut les lui enlever pour qu'il accepte pour quelques jours ,charentaises , fauteuil et repos .
Le cadet parlait de ses pommiers avec une grande fierté, la beauté des fleurs et la qualité des fruits. Comme Claudel, pour lui, les fleurs étaient là pour chanter la gloire de Dieu mais les fruits étaient pour l’homme et donc pour "sa pomme", pour les siens et ceux qui passaient par là.
Le troisième n’a jamais quitté le chêne au pied duquel il est né. Son épouse ne dédaignait pas chausser les bottes. La forêt était leur jardin avant de devenir leur horizon.
Le quatrième frère avait collé à la peau sa vareuse de chasse. Il aimait les forets bordés d’épines noires ,les grands ronciers et les sombres halliers, il avait le regard perçant de la « braconne » et le fusil efficace.Il a pendu la crémaillére en plantant un vaste jardin dont son épouse est la jardiniére assidue..
Le sixième ne chasse pas le gibier petits ou gros mais poursuit avec ténacité la plantation d’arbres dans la ville : Sur la moindre butte, le plus petit terrain vague, aux carrefours ,aux croisements de routes et d’autoroutes ce sont des érables ,des platanes, des hêtres et même des chênes qui affrontent en s’élevant les vapeurs d’essence .Maxime le Forestier ,né dans le béton , s’identifiait en chantant ces arbres dans la ville . Un vieux rêve poursuivi et partagé : non pas quelques arbres mais une forêt dans la ville ! Utopie ? Chimère ? Le rêve arborescent sortira des cartons. Central Parc a t il poussé en un jour ? Il n’a que 350 hectares? Le tiers du projet forestier qu’il conçoit et rêve dans la métropole lilloise.(°)
le Septième ,c’est le beau frère, il est né dans la plaine maritime .Les bois qui protègent les grandes fermes là bas sont couchés sous le vent, arbres courbés comme balais d’écurie, oyats comme poignées de cheveux dans le vent et la dune d’ou jaillissent les bécasses , plaines à perdreaux lisses comme des plages à marée basse "quand la mer s'est retiré à pieds nus".Et la forêt aussi dans les vieux jours pour faire travailler le chien.Et le grand pin au fond du jardin que les voisins ont fait dépecer et couper en tranche avec la mort dans l'âme ,jusqu'à ce que mort s'en suive.
Le huitième regarde de sa fenêtre de la rue de Rivoli, les tilleuls blancs domestiqués des Tuileries mais il a fait une « alliance » rapprochée » avec les forestiers du Beaujolais. Il contemple là haut les Douglas sévères qui couronnent les coteaux de sa montagne, compagne d’adoption.
Le cinquième, c’est moi. Je ramasse des champignons du 15 Aout jusqu’à la Toussaint.( Avant la chasse au gros )Deux bons mois à fouler les feuilles mortes, à sentir les odeurs fortes de la terre encore tiède aprés l’été, à me plonger dans le chatoiement charnel des fauves, ocres et jaunes mélangés ,des forêts de chênes, charmes ,bouleaux, tilleuls et noisetiers .
,le Houtland (flandre boisée) qui a vu pousser le chêne au pied duquel nous sommes nés est un peu comme la Creuse dont parle Michel Serres dans sa Biogée : « paradis d’arbres isolés, Le chêne roi, le hêtre, le charme, le châtaignier, le tilleul centenaire et le séquoia colossal, le cèdre élégant étalant sa pagode, l’érable parfois, chacun explose en son essence. »(1) « le bois de ces arbres parle aux muscles de mon tronc, leur écorce à ma peau , leur sève à mon sang, oui, je sens leur branchages se dresser comme mes membres ». (1) Poésie pure ? Romantisme ? Volonté de réenchanter le monde? Communion à la nature ? On est aux antipodes de Descartes qui voyait toute la philo comme un arbre,dont les racines sont la météphysique;le tronc la physique;et les branches qui sortent de ce tronc,les autres sciences, médecine,mécanique et morale. Voila une planche explicative pour laboratoire, on est loin des dieux antiques et de leurs métamorphoses poétiques : « Ainsi Philémon aimait tant Baucis qu’à le veille de leur mort, Hermès et Jupiter les changèrent tous deux en chêne et en tilleul et quand le vent soufflait, l’un caressait encore tendrement de ses rameaux, les splendides ramilles de l’autre. » (1) Voila une belle histoirte d'amour.
Alors que la fratrie se recompose doucement de l’autre coté pour l’éternité,le grand hêtre pourpre du grand père est mort l' été dernier. C’était un personnage, il était plus que centenaire. Hermès le dieu des beaux parleurs et Jupiter lui-même n’ont rien pu faire .Ils ont peu d’égard pour les mortels comment en auraient ils pour les arbres même centenaires . Les hêtres fussent ils "suprêmes" (1bis)sont mortels eux..
.. Avec deux arbres croisés, des hommes un jour ont planté une croix et y ont cloué le Messie pour empêcher le ciel d'intervenir de façon subversive dans nos histoires d'hommes. Arbre qu’épouse le tronc du supplicié, la peau lacérée par le fouet, râpée sur la dure écorce, mêlant le sang à la sève. Folie pour Hermès et Jupiter, scandale pour Philémon et Baucis, voila l’arbre de vie (2). Hêtre, chêne, tilleul, cèdre ou châtaignier , tourbillon de vie, éclatement débordant de force vitale .La métamorphose d’anamnèse a commencé. Comment saurais je si ma chair transformée en ce tronc ligneux monte avec sa frondaison vers la lumière ou, descend dans la terre en suivant ses racines ?(1)
Ecce enim propter lignum venit gaudium in universo mundo : c’est par le bois de la croix qu’est venue la joie pour le monde entier.
Crux fidélis ,inter omnes O croix signe de notre foi
arbor una nobilis arbre noble entre tous
nulle silva talem profert aucune forêt ne présente un tel feuillage
fronde,floré,germiné si belles fleurs et si beaux fruits.(3)
La joie pour le monde, prend sa source dans le don de soi, dans l’amour,mais aussi dans la richesse d’un monde qui tourbillonne, respire, s’éclate. Michel Serre termine sa Biogée par les béatitudes C'est . la rupture d’un barrage celui de la bêtise et de la suffisance de l'homme qui veut dominer la nature,la plier à sa volonté,l'exploiter .La joie enfin libérée envahit tout comme un tsunami. « Depuis des millions d’année, les enfants, leur mère, les amoureux, les vieillards, les simples, les pauvres, les promeneurs, les inventeurs, les artistes, accumulent des volumes astronomiques de joie hélas inemployés. Jusqu’au big bang muet. la peau de la poche venait de lâcher .Alors dense, intense, explosive, la joie arriva, de gauche, de droite, en hautes lames, au raz du sol, en cataracte et marée galopante .En crevant sa poche millionnaire, la joie inonda les vivants, transperça l’écorce des arbres s’immisça liquide dans les artères, les veines, les conduits de sève. Feu, elle fit battre les cœurs ; douce, fit sonner les fanfares et les carillons… »
« Je vous annonce une grande joie pour tout le peuple » Luc ch 2/10 . Pour le,chrétien,La joie est bien première, clin d’œil de Dieu avec le nouveau né couché dans une mangeoire taillée dans le tronc d’un cèdre .. La joie est dernière et c’est par « le bois de la croix qu’elle est venue pour le monde entier. »
« Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».St Jean ch 15/11.
( ° )Carillonnez Beffrois ch.9 B.B. ed voix du Nord
1)Michel Serres Biogée éditions dialogues :
(1bis) Valéry.
(2) « Je suis venu apporter la vie en abondance » St Jean
(3) adoration de la croix ,office du Vendredi saint