(Qui a envie d'être aimé ?)
"jouez coeur,vous ne serez jamais battus"c.m.5
On a tous envie d’être reconnu, respecté. Plus que d’autres certains ont le désir d’être adulé ou au minimum recevoir des critiques élogieuses, notamment les artistes et , les hommes politiques dont l’activité dépend en grande partie de leur notoriété.
La question posée dans le sous-titre de cette note concerne tout le monde, artistes, hommes politiques et vulgum pécus, autrement dit, vous et moi. La réponse également est pour tous : Tout le monde bien sûr a envie d’être aimé.
Je suis allé voir un film d’ Anne Giafféri qui a pour titre justement cette question. Elle est posée par un prêtre au visage rondouillard flanqué d’un jeune prêtre insignifiant dans une salle obscure (du genre polyvalente poussiéreuse) à un public clairsemé. On n’est pas sur le « parvis des gentils »(1) à débattre avec brio de la question de Dieu, de raison et de foi, de vérité et d’amour, d’éros et d’agapè. On n’est pas dit Pierre Murat (2) au pied d’un pilier de Notre Dame pour « une conversion éclatante frappée de superbe » comme l’a vécue et décrite Claudel.
Mais dans ce décor" banal à pleurer", La question va faire son chemin dans le cœur d’Antoine. Avocat brillant, père de famille comblé, Antoine a tout pour être heureux. Il est venu là simplement parce qu’il est bien élevé et qu’il a voulu honorer une invitation du professeur de son fils. Et voici que la question du curé va s’infiltrer en lui par une blessure secrète. Il vit depuis l’enfance le syndrome du fils ainé, le mal aimé de la parabole du fils prodigue (3).Son père fait preuve d’une indulgence coupable envers son frère qui lui fait toutes les vacheries possibles alors même qu’il ne montre aucune reconnaissance pour Antoine qui fait tout pour lui. C’est Caïn et Abel à l’envers(4) Ce n’est qu’une petite blessure, une fissure ; ce sera suffisant pour laisser la grâce pénétrer en lui sans crier gare. « Timschel, tu peux vaincre cette jalousie » disait Adam(4) Une autre fissure aussi dans les rapports avec son fils .C’est en méditant devant une statue du Christ flagellé qu’il trouve la force du pardon et la sérénité. Le pardon est le pont aux ânes de tout homme qui chemine vers la foi (4 bis)
Anne Giafféri « joue cœur et gagne « (5).; son film, sans prétention, fait mouche .Antoine découvre ce besoin d’être aimé chez son fils : Ils jouent cœur et gagnent : tendresse et réconciliation .Chez sa femme « branchée » qui joue cœur elle aussi et accueille avec simplicité et petite larme la conversion d’Antoine.Chez sa mére aussi. On a tous envie d’être aimé, c’est pour cela qu’il nous faut faire preuve d’une immense délicatesse pour combler ce désir chez ceux avec qui nous vivons sans bien sûr les étouffer de tendresse.
Je tombe par hasard sur le livre de Thierry Bizot ,"Catholique anonyme" publié au Seuil en Avril 2008 qui a servi de suport au film d' Anne Giafféry(sa femme) .Il m'a touché en décrivant le désir d'être lu et reconnu chez tout écrivain avec un égo fragile face aux aléas de ce type de production et cette priére du centurion :"Dis seulement une parole et je serai guéri" qui jaillit de l'inquiétude d'étre laissé pour compte,de ne pas être aimé assez,ni lu à la hauteur de ses prétentions.Voici ce qu'en dit l'auteur:"Nous n'avons jamais tout l'amour que nous voudrions et nous nous sentons seuls comme des orphelins.Nous avons besoin d'un amour plus fort que tous les autres.C'est Jésus notre frére et notre Pére.Quand nous nous savons aimés par lui,nous ne sommes plus orphelins"(interview de l'auteur par JB Maillard pour Eglse de Lille du 18 Avril 2012 .A défaut de son pére qui tient beaucoup de place dans le film et dont Thierry Bizot parle à peine dans son livre ,il y a les pages admirables d'un dialogue avec sa mére qu'il a invité au restaurant. Il s'agit de sa conversion "Avoir la foi c'est facile,maman,c'est comme d'être amoureux, un vent de jeunesse,de la joie,de la fantaisie,du plaisir .Pour cela il faut accepter de tout lacher et laisser Dieu s'emparer de tout. et puis surtout faire confiance à nos désirs". Ma mére m'entend ,consternée par la naîveté de mon discours ou facinée par son enfantine simplicité,elle m'écoute désarmée,l'oeil pétillant.Quelques jours apres je reçois une lettre d'elle(6) où elle met en note une citation de François Varillon :" la seule chose qui intéresse Dieu dans nos vies,ce sont nos désirs."
(1)Dialogue avec les non croyants sur le parvis de Notre dame en Mars 2011.(le parvis des gentils fait allusion à l’accueil des non-juifs sur ce parvis du temple à Jérusalem)
(2) Télérama 3187.
(3)troisième parabole de la miséricorde Luc ch. 15/11 : l’enfant prodigue. Le fils aîné dit à son père : « Voici tant d’années que je te sers …et jamais tu m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils qui revient après avoir dévoré ton bien avec les femmes, tu fais tuer pour lui le veau gras. ».
(4) Dieu est insensible à l’offrande de Caïn alors qu’il accueille celle d’Abel. Dans son livre à l’Est d’Eden, Steinbeck décrit la blessure profonde chez Cal ,qu’a provoqué l’indifférence avec laquelle son père a reçu son cadeau . Un simple canif d’enfant. La jalousie s’est introduite dans la blessure, l’a infectée comme si une bête s’était tapie en lui. Une bête qu’il peut vaincre lui dira son père avant de mourir. (TIMSChEL / Tu peux ? voir note Cain et Abel. 4/12/ 2010)
(4bis) J’ai fait maintes fois l’expérience de ce fait avec les catéchumènes. Tant que la bête de la jalousie n'est pas morte ou dominée,tant que le désir de réconciliation n’a pas balayé l’orgueil qui empêche le pardon et guérit la blessure de l'offense, le Christ reste un inconnu et le Notre père inchantable.(voir note le 4/12/2010 en archives.Cain et Abel)
(5)Consigne de Claire Monestés fondatrice de la Xavière à ses filles en 33 : « Jouez cœur, vous ne serez jamais vaincues. » Encore faut il en avoir, bien entendu. Un peu, beaucoup ou passionnément, c’est selon : le roi, la dame mais aussi le valet avec des petits derniers qui font les grand schlems. « retenez ce qui est bon, même ce qui n’est pas dans la ligne habituelle, qui dépasse la norme… »(Claire jouait peut être au bridge mais ne faisait pas souvent le mort).
(6)"Mon chéri,merci pour la conversation que nous avons eue Elle a constitué pour moi un moment trés particulier.,et elle se prolonge dans mes pensées.La révélation de l'évidence de notre humilité ,la foi dans la valeur de l'abandon,la confiance qu'il faut faire à nos désirs ...tout cela est trés proche de ma propre recherche ,J'y vois le travail de la grâce.Je t'embrasse et je t'aime.".