A l’église d’Albanne en Savoie sous la voûte de la première travée en entrant, un œil de bonne taille vous regarde. Ce serait l’œil de Dieu !
On m’a dit que l’on trouve ce même œil dans beaucoup d’églises baroques mais on n’a pas su m’expliquer quel regard cet œil porte sur les gens qui entrent dans l’édifice.
Cet œil est il placé prés de la porte à la manière des caméras devant les banques ou les édifices publics pour filtrer les entrées ? Dieu aurait à l’œil des lefévristes qui voudraient se manifester et réclamer du célébrant qu’il chante, comme le faisait le Léon jadis, en « latin de cuisine savoyarde ».
Cet œil est-il là pour surveiller « les paroissiens du fond » qui se permettraient de causer au lieu de suivre l’office ? Autrement dit : « Dieu t’a à l’œil même si le curé ne te voit pas » !
Quand on a repeint l’église, personne n’a demandé qu’on retire l’œil. Il a donc été consciencieusement repeint à l’identique avec les couleurs bleues, roses et or qu’avaient les salons de Maurienne du temps du régime sarde. Les paroissiens d’Albanne, qu’ils aient quelque chose à se reprocher ou la conscience pleinement tranquille, savent que de toutes façons ils sont transparents au regard de Dieu leur « Père qui voit dans le secret »(1 )Pour eux cet œil n’est pas accusateur comme l’œil de Dieu dans la tombe où s’était caché Caïn après le meurtre de son frère.(2) Il n’est pas moqueur comme pourrait l’être le regard du ciel sur les « tartuffes » de tout bord car les gens d’ici sont simples et ne font pas de grimaces .Ils viennent à l’église pour prier sans gants ni chapeau ,loin : « Des tartuffes de mœurs, comédiens insolents
Qui mettent leurs vertus en mettant leurs gants blancs ». (3)
Ils savent bien qu’au de là de l’apparence, il y a le secret du cœur où n’entre d’ailleurs pas qui veut ; nous sommes en Savoie que diable ! Seul Dieu a la clef et peut visiter ce qui est finalement la seule vraie réalité de la vie. Car «La réalité et la vérité de nos actions ne se tiennent pas dans l’univers des apparences .Elles se tiennent en nous….. Au sein de l’invisible et du secret de chacun. …… Ce nous, ne se rapporte pas seulement au monde et aux autres, il est soumis au regard de Dieu, il se reçoit de sa relation intérieure à Dieu. » (4) Chacun est donc transparent sous le regard de Dieu, le regard d’un « père qui voit dans le secret ». .Ainsi, lorsque vous visiterez une église baroque, levez les yeux. Si sur la voûte dans la première travée, il y a un œil qui vous regarde, pensez que Dieu partage tous les secrets de votre cœur, il est plus intérieur à vous même que vous ne l’êtes vous-même.(5)Vous pouvez prier le psaume 138 : « Scrute moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée ,conduis moi sur le chemin d’éternité »( ci- dessous in extenso) Si cet œil vous gène, si cette transparence au regard de Dieu vous est insupportable, il vaut mieux quitter l’église. Mais n’allez pas comme Caïn vous cacher dans une tombe car l’œil vous suivrait et en plus vous risquez d’attraper un rhume. Prenez plutôt le temps de méditer cette autre phrase de l’évangile : « Il n’y a rien de caché qui ne finisse par devenir manifeste, rien de secret qui ne doive être connu et venir au grand jour »(6). « Venir au grand jour pour cette lumière invisible veut dire illuminer les cœurs » commente Michel Henri qui sur la couverture de son livre a gravé le beau visage du Christ de Rembrandt (7) .Regardez le ,il vous montrera la gravité sereine du regard de Jésus , cet homme « qui vient de Dieu »(8) et vous révélera mieux que l’œil de l’église d’Albanne l’immense tendresse du regard de Dieu..
1. Matthieu ch. 6 / 4 : « Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra ».Voir aussi ch. 6 / 6 et ch. 6 / 18.
2. « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». La conscience. Victor Hugo.
3. Musset. Premières poésies.
4. Michel Henry, Paroles du Christ. Le seuil.
5. « intimor intimo méo » St Augustin.
6. Luc ch 8 / 17
7. Rembrandt Tête de Christ 1646 .Gemaldegalerie Berlin.
8. Joseph Moingt Le Cerf
psaume 138 : Rembrandt tête de christ
Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !
Tu sais quand je m’assois, quand je me lève ;
De très loin tu pénètres mes pensées.
Que je marche ou me repose, tu le vois,
Tous mes chemins te sont familiers,
Avant qu’un mot ne parvienne à mes lèvres,
Déjà, Seigneur, tu le sais.
Où donc aller, loin de ton souffle ?
Où m’enfuir, loin de ta face ?
Je gravis les cieux tu es là ;
Je descends chez les morts : te voici.
Je prends les ailes de l’aurore
Et me pose au-delà des mers :
Même là, ta main droite me saisit….
C’est toi qui as créé mes reins,
Qui m’a tissé dans le sein de ma mère….
Mes os n’étaient pas cachés pour toi
Quand j’étais façonné dans le secret,
Modelé aux entrailles de la terre….
Scrute moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée ;
Éprouve-moi, tu connaîtras mon cœur…..
Conduis-moi sur le chemin d’éternité.