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village - Page 2

  • Le pére Grange

     

     

     

    Le père Grange

    Ceci n’est pas une chanson de geste, un récit de légende comme on le fit jadis pour ce «  fol de Dieu » que fut son saint patron Alexis le solitaire de Rome. L’Alexis dont je vais vous parler n’était pas fou, même pas de Dieu. Le bonhomme  était simplement bon comme du bon pain, comme le Bon Dieu. C’était un bon curé savoyard enraciné dans son village perché. Depuis près d’un demi-siècle, il était mêlé aux événements de la vie des 80 maisons qui se serrent autour du clocher. Cette année là, le bon père Grange se désolait ; ses paroissiens se disputaient : chicanes, médisances, divisions claniques, et même calomnie. Décidé de frapper un grand coup comme le curé de Cucugnan d’Alphonse Daudet, il convoqua tout le monde pour une réconciliation générale, un soir, la veille du 15 Août, fête patronale. De peur d’être débordé, Il s’était assuré le concours d’un  prêtre en vacances. A l’heure dite, ils étaient donc tous les deux dans l’ombre fraîche de l’église par un temps de canicule. Les bruits du village leur parvenaient étouffés par l’épaisseur des vieux murs : Une  sonnaille de vaches, l’aboiement d’un chien, la plainte d’une scie circulaire, un tracteur qui  tire une charrette de foin mais rien du côté de la porte, pas le moindre gémissement des gonds, pas le moindre frôlement de jupon. Et, soudain, au milieu de l’allée, un énorme miaulement. C’était le chat noir de Nénesse, voisin de l’église. « a hell of a noise » Un miaulement d’enfer pour l’aveu de ses crimes. Il avouait qu’il n’avait pas de nom de baptême mais demandait que l’on blanchisse son âme qu’il avait poilue comme l’enfer. I’ ve got no holy name and my soul is hairy as hell »(Whithe) « Vadé in pace » Le père Grange ne connaît pas l’anglais mais il n’a pas perdu son latin « Parcere subjectis et debellare superbos » J’épargne ce chat pénitent mais les mécréants prétentieux qui ne sont pas venu ce soir n’ont rien perdu pour attendre. Je  ne suis pas sûr que Virgile s’y retrouverait dans cette traduction mais le lendemain la grande messe fût « carillonnée » en langue vernaculaire et vigoureuse. « Mes bien chers frères, nous étions deux à vous attendre hier soir dans la fraîcheur de l’église. On entendait au loin quelqu’un scier son bois, un autre rentrer ses vaches, un autre son foin mais le gond de  la porte n’a pas grincé. Et pourtant, on ne pourra pas dire qu’il n’y avait pas un chat. Le chat de nénesse est  venu miauler ses aveux. Alors je me suis dit que je m’étais trompé. J’avais mal  interprété les médisances. Quand quelqu’un disait du mal d’un  absent, c’était de l’humour. C’est moi qui ne comprenais pas. En fait, il disait du bien. Pareil pour les calomnies, c’était pour rire et moi qui me croyait en enfer ! De fait j’étais au paradis et ne le savais pas. Finalement tout va bien. Je peux vous donner le Bon Dieu sans confession. Pas besoin de réconciliation puisqu’il n’y a pas eu de dispute. Et les disputes au moment du partage ? Ici ça se passe toujours bien, dans la bonne humeur n’est-ce pas, mes frères ? Comme le disait Paul, il n’y a au village qu’ « amour, joie, paix, patience, bonté et douceur ». Quand le bon père Grange s’est tu, il y eut un silence pesant, lourd de repentance ; un silence « long comme un jour sans pain  »durant lequel les cœurs se retournaient comme pâte au pétrin. Il ne restait plus qu’à cuire ce pain des larmes au feu de l’Amour et le partager dans une fraternité retrouvée. Le chat de Nénesse avait ouvert à tous le chemin du paradis. Cette année là, la fête a été belle

    Ai-je  enjolivé les choses ? Sans doute, un peu ! Les gens qui ont connu le Père Grange rectifieront d’eux même. Commentant la pensée de Ricœur, Aveline dit que «  le récit permet de suggérer une interprétation de sens mieux que ne le ferait un simple compte rendu des faits car il laisse  deviner la subtile relation entre l’explication des faits et la compréhension du sens ».OK