Douce France !
Charles Trenet avait 30 ans. On était en pleine guerre .Le 3 Mars 1943, le « fou chantant » entonne « douce France ». Année bien noire pour une « douce France ». Tout est noir comme le cahier de Mauriac et son regard bien noir : « A quel autre moment de l’histoire les bagnes se sont refermés sur plus d’innocents, à quelle autre époque les enfants furent ils arrachés à leur mère, entassés dans des wagons à bestiaux tels que je les ai vu par un sombre matin à la gare d’Austerlitz ?. »(1) Année noire comme les « mouches » de Sartres ou le « corbeau » de Clouzot, comme les sorcières de Bordeaux mobilisées pour prononcer dans le mare de café noir quelque oracle à la victoire de l’occupant. Noir comme l’uniforme de la toute jeune milice de sinistre mémoire. Noir comme le marché avec la ration de viande ramenée à 90 grammes par semaine et par personne. « Douce France » : chant du souvenir et nostalgie de la France rurale des années 20 après que l’armistice ait sonné la fin de la tuerie, mais aussi sans doute, chant de dérision pour souligner par contraste la dureté de l’occupation quand bonheur rime avec douleur.(2)
Quand Rachid Taha a chanté la douce France et ainsi donné à voir une jeunesse française black, blanc, beur arborant les trois couleurs de la république, on comprend que Jacques Lang en 1986 ministre de la culture ait distribué le DVD aux députés. La chanson prenait de la couleur et présentait une France multicolore, douce et accueillante. Aujourd’hui, Eric Besson ressort la chanson (celle de 43) dans un autre but me semble t il. Il s’agit sur fond de nostalgie, d’affirmer l’identité de notre pays qui serait menacé par je ne sais quel métissage avec perte de repères et de mémoire .La douce France serait, victime de sa générosité qu’il présente , en semblant le regretter , comme exemplaire. « Nous sommes de tous les pays européens le plus accueillant à l’étranger » sic. (3)
La France des hussards de la République qu’étaient les instituteurs et des blouses noires d’écoliers, des veuves de guerre, des curés de campagne en soutane noire et des vicaires de banlieue, des comices agricoles , des kermesses de village et des patronages , des patois de région et des meetings ouvriers, cette France la, non pas celle de notre enfance mais de celle de l’enfance de nos grands parents était elle si douce que cela ? Digne d’être aimée , bien entendu ,« dans la joie ou la douleur »(2),aimée et déjà terre d’accueil pour des milliers d’Arméniens, de sénégalais, d’espagnols et de portugais, de polonais, de tunisiens, d’algériens et de marocains. Ce sont tous ces gens la qui ont fait la France d’aujourd’hui . Cette France est bien dure parfois aux miséreux et aux réfugiés mais capable aussi de grande douceur, de tendre insouciance, et de générosité admirable comme le slame ci-dessous Marjorie et ses amis(4) les enfants de l’âge de Trénet ou plutôt de l’âge de ses souvenirs...
(1) Le cahier noir de François Mauriac Aout 1943
(2) Refrain de la chanson :
Refrain:}
Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
Je t'ai gardée dans mon cœur!
Mon village au clocher aux maisons sages
Où les enfants de mon âge
Ont partagé mon bonheur
Oui je t'aime
Et je te donne ce poème
Oui je t'aime
Dans la joie ou la douleur
Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
(3) France Inter le 27 Octobre 2009, interview d’Eric Besson. On peut vérifier le bien fondé de cette déclaration en allant du coté de Calais, ces temps ci :
(4) « Si j’étais un chemin de terre…, de misère…, de fer…, d’enfer…,il n’y aurait pas un bout de terre, il n’y aurait pas un bout de mer…
Si j’étais un chemin de frère, je serai un chemin ouvert, je serais un chemin de lumière .J’emmènerais les gens tout autour de la terre, marcher sur les mers, danser dans les airs ». Rilés.
« Moi, je ne supporte pas qu’on jette les papiers par terre. Moi, je ne supporte pas qu’on jette les hommes à terre…On ramasse les papiers mais on laisse les hommes par terre » Quentin 14 ans.
« Ils sont sous des tentes ils ont froide au vent, derrière la tente une rose, une rose rouge à coté de la rivière. Elodie.
« Ici, c’est ma ville, ma France ; ma France de toutes les couleurs, mon pays en souffrance, mon pays en attente, en attente d’un ailleurs…Ici, c’est ma France, ma France de toutes les couleurs, de tous les labeurs, black, blanc, beur ».Marjorie
« Lorsque je regarde au loin, le matin, je vois le soleil, le vent, le rire des gens …».Jordan.
Rilés , Quentin, Marjorie, Jordan, Elodie vous nous emmenez sur vos chemins de frères, vos chemins de lumière. Vous nous entraînez dans votre ronde. Avec vous « slamons autour de la terre, marchons sur les mers et dansons dans les airs »
(Ateliers écriture orale animée dans le cadre du projet « paroles d’ilots »sur le quartier Europe à Grande Synthe.)
Vos kyrielles de mots font litanie, vos rimes tirent leur force de leur addition.
Chemin de fer, chemin d’enfer quand passe les lourds wagons chargés d’acier , le rythme de leur double « han » et les chocs et entre chocs dans la nuit , au loin du coté du triage .Chemin de fer, chemin de frère quand le train ramène à la maison ou conduit chez les amis .Chemin de fer, chemin de lumière vers « le soleil du matin, le vent, le rire des gens ». J’entends le train qui siffle au loin, alors que vous les slameurs vous êtes dans le train avec le conducteur. Ce train slame en cadence, traverse la France de toutes couleurs, emmène les gens autour de la terre, marche sur les mers et danse dans les airs. Je ne suis pas un mauvais homme, je suis comme Quentin, je n’aime pas qu’on mette les hommes plus bas que terre , mais Quentin dit plus que cela, il affirme en slamant qu’une ville propre, aseptisée, fleurie, sans papiers à terre peut être inhumaine envers les miséreux .Il affirme que le SDF est un homme et mérite d’être considéré .Il le slame,il le dit, il le chante en se saoulant de mots. A t il entendu le conseil de Baudelaire ? : «Demandez au vent, à la vague, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ? Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge vous répondront : il est l’heure de s’enivrer. (1)
Slameur saoule toi de mots, de rimes et de poésie. De mots qui jaillissent de toi comme une source qui ne tarit pas. La liberté, ta liberté est « au bout du chemin » Pour nous qui t’écoutons, cette source d’eau vive nous rafraichit. Voila la douce France, oui je l’aime, cher pays de nos enfances.
Charles Trenet, inventeur de la chanson moderne, aurait aimé sans doute slamer avec Marjorie, Jordan ,Rilés ,Quentin ,Elodie, la douceur du pays de son enfance.
(1)Baudelaire : Le spleen de Paris
4 ans déja depuis la publication de ce "douce France".J'ai passé avec des syriens une soirée à Calais . Ce qui s'y passe témoigne de la dureté de la police envers ces malheureux.Les Erytréens vivent eux aussi des jours difficiles apres avoir pleuré leurs noyés en méditerranée ils subissent la pression constante d'une police qui les délogent des pauvres abris qu'ils se cherchent contre la pluie. Quand va donc cesser ces persécutions stériles ,ce harcélement continuel ? France où est ta douceur ?