Une casquette aux pieds nus
Des semelles en langue de femmes ou en gosier de curé.
Quelque part entre Champagne et Bourgogne
Il voulait être beau pour le bal communal des pompiers le 14 Juillet .Il s’arrête sous les arcades avec l’ intention de s’acheter pour de vrai ,une nouvelle casquette. Ce n’était pas du luxe, celle qu’il portait avait vécue. Les arcades, ce n’est pas la rue de Rivoli mais il y a quand même deux magasins entre la Mairie et le bistrot du coin. Une mercerie qui vend des casquettes, des bretelles, des caleçons, des boutons et des cravates et un marchand de chaussures. En façade sur la place du village cinq arcades en moellons couverts d’un enduit grisâtre qui protègent du soleil et de la pluie les vitrines des deux magasins, les passants, et les clients attablés devant le café.
Lui, c’est le Cafougnette Il n’a pas inventé la poudre mais tout le monde l’aime bien au village. Il entre s’acheter une casquette et se renseigne sur les prix. La vendeuse déballe d’abord les plus chères et, devant la moue qu’il fait, sort les moins belles. Cafougtnette continue à faire la moue puis , avec la bouche de coin et un ton nazillard : » il faut voir à voir, c’est trop cher ! Tant pire.! Pas la peine de trifouiller plus longtemps . "A ce prix, je préfère marcher pieds nus". Il anticipait son entrée dans le magasin de chaussures.
Ses souliers, eux aussi avaient vécues, il entre s’en acheter une paire, juste à coté .Il y a du monde. Il y a notamment le curé qui attend patiemment d’être servi et une paysanne qui a fait déballer la moitié du magasin à la recherche d’une chaussure à la semelle inusable. « Vous comprenez madame, dés l’aube je suis en route dans les prairies et les étables, je fais tous les jours des kilomètres dans de mauvais chemins pour venir au village. Il me faut du solide ». Le déballage continue, Ce crêpe est trop mou, ce cuir trop fragile, cette chaussure est trop chère, celle là est démodée .Notre Cafougtnette s’impatiente.
« C’est quoi que ça Madame ? Vous chiottez ! » Puis s’adressant à la vendeuse :
« Madame veut des tatanes solides ?, eh ben, vendez lui des semelles en langue de femme. C’est inusable. »
« Oh !!! Je vois que Monsieur a une triste opinion des femmes! Et, vous monsieur le curé ? Ça vous fait rire ?»
Impénitent, Cafougnette en rajoute une louche: « Si vous n’avez pas de semelles en langue de femmes, vendez lui des semelles en gosier de curé, ça ne prend jamais l’eau. » A la parole, il joint le geste. Il saisit et secoue sa pomme d’Adam entre le pouce et l’index:
Voila comment en deux répliques Cafougnette se met à dos les femmes (la moitié de l’humanité quand même ) et les curés accusés sans procés d'avoir la pente sévére.
Le jour du bal arrive .A défaut de casquette, il se met sur la tête le chapeau de son père .Il étrenne ses chaussures neuves.. Il a mis son beau costume et pris soin de ses bas de pantalon en les repliant avec des pinces à vélo . Cafougtnette n’ose pas inviter une cavalière pour danser, et personne ne se propose. Il fait tapisserie alors que son ami Horatio en grande tenue de pompier a du succès auprès des dames.
-« Comment tu fais pour attirer des cavaliéres ? »
-« Le prestige de l’uniforme Cafougnette et quand ça ne suffit pas, j’agite mes clefs de voiture.
«Je n’ai pas de voitures et pas d’uniforme non plus. »
-« Prends mon trousseau et tu verras ».
Cafougnette agite la clef de la Mercédès d’Horatio mais aucune fille ne s’approche .Il s’étonne auprès de lui de son peu de succès.
-« Je te rends tes clefs, ton truc ne marche pas ».
-« Bien sûr que ça ne marche pas, les nanas ne sont pas folles, tu agite les clefs de voiture et tu as gardé tes pinces à vélo !.
Cafougnette retire les pinces à vélo, agite les clefs de voiture d’Horatio mais rien n’y fait.
-« Je m’en vais dit il à sa femme »
« -Et moi je reste, je m’amuse »
Le lendemain les copains lui disent : « ta femme ne s’est pas embêté. Elle a dansé avec le même homme jusqu’au petit matin »
« -C’est bien fait, dit Cafougnette . Elle n’avait qu’à rentrer avec moi. »
"Les idiotes ne sont jamais aussi idiotes qu'on croit , les idiots,si". Auchard.
C’est les élections communales, Comme à Clochemerle, il y a un débat au sujet de l’emplacement de la vespasienne . Il y a les partisans du derrière de la mairie car beaucoup d’hommes lichent après les conseils. C'est le clan laic .Il y a d'autre part les partisans de derrière l’église car aux enterrements les hommes lichent aussi et doivent se soulager apres l'offrande.C'est le clan clérical. Pour tous, l’emplacement de la vespasienne est donc de première importance dans un pays où il est évident que c’est encore le privilège des hommes , citoyens à part entiére ,cléricaux comme antis de pisser debout, privilège que personne encore n’a osé leur retirer. La main sur le cœur, Cafougnette au comptoir du bistrot a cette parole historique et surtout illogique et lourdement vulgaire: "Ils commencent à nous faire chier avec cette pissotiére". Puis il ajoute en guise de brève de comptoir :« C’est curieux, tout le monde gueule et personne ne dit rien. »
Il y a un autre bistrot dans le village d’en bas. Ce jour là, il faisait chaud, Cafougnette y est entré se désaltérer avec son petit chien. Entre après lui le livreur de bière. Il a accroché son cheval à l'anneau scellé dans le mur et se fait servir une pinte après avoir bien sué à décharger tonneaux et caisses de canettes .Le petit chien du Cafougnette ,familier avec les clients saute sur les genoux du livreur qui le prend et le jette par la fenêtre .
-« Méchant ! Il t’a rien fait mon chien et si moi j’en faisais autant avec ton cheval.
Furieux, il sort du bistrot, met le chien dans le panier de la mobylette et monte la côte vers le village d’en haut..A mi-parcours il dépasse une bécassine un peu lourdaude et,bon prince, l’invite à s’asseoir à l’arrière sur son petit porte bagage .La mobylette peine à grimper la côte ,finalement ,le moteur cale dans un virage .. Cafougnette débarque la fille et bon garçon lui dit : La mob ne peut plus arquer, on est trop lourd mais ce n’est rien , je te prendrai à mon prochain passage.(aura-t-elle eu le temps de maigrir ? ou aura t il acheté une grosse cilindrée ?)
Voila les aventures de Cafougnette, un" cafougnette" rural de là-bas, quelque part dans un bourg de campagne entre Champagne et Bourgogne. Pas méchant, un peu nunuche mais au demeurant le meilleur des hommes. Il parle la bouche en coin avec des mots du patois de son coin et des expressions de son terroir que j’ai mis en italique pour que vous ne soyez pas tentés de les corriger en me prenant pour un analphabéte.
Petit lexique poour comprendre le patois de là bas :
Licher : boire
Arquer :avoir la force
Chiotter : Cafouiller , s'enberlificoter, ne pas s'en sortir.
Tant pire : tant pis