« Te souviens-tu ? C'était dans le jardin de ton père, les cerisiers étaient en fleurs, tu portais une robe à pois bleus. Il a suffit que tu me regardes pour que monte en moi une immense tendresse, j'ai compris que je t'aimais et que tu m'aimais. »
« Je crois que ta mémoire te fait défaut. C'était au bord de l'eau, un Dimanche de Mai, les feuilles de saules toutes tendres encore se balançaient dans le vent. Dans le verger derrière la haie d'aubépines blanches, les pommiers commençaient tout juste de fleurir. Il faisait déjà chaud mais tu avais gardé ta lourde veste à carreaux. Je ne me souviens plus t'avoir regardé mais de toute façon tu ne semblais pas me prêter attention. La preuve, Je ne portais pas une robe à pois bleus mais une jupe longue couleur safran. C'est quand tu m'as aidé à passer la barrière que j'ai compris que tu t'intéressais à moi. Tu as fait preuve d'une grande délicatesse »
Demandez à un vieux couple qui fête ses noces d'or de raconter leur première rencontre. Ils vous décriront avec émotion et d'amples détails un récit qui n'aura rien '' d'historique ''.Mais l'essentiel, n'est ce pas, c'est que 50 ans avant, une rencontre a eu lieu .Une rencontre décisive qui a marqué toute une vie... Qu'elle ait eu lieu ''dans le jardin de mon père '' ou'' au bord de l'eau''. Que soient en fleurs les cerisiers ou les pommiers, 50 ans de fidélité ont porté des fruits qui « dépassent la promesse des fleurs » (1), que la jupe soit safran ou la robe blanche à pois bleus, le bouleversement de la rencontre a eu lieu et cela, c'est « historique ».
Ce qui est vrai du récit du vieux couple évoquant leur première rencontre est vrai aussi des récits des apparitions de Jésus après la Passion. Ils ont été mis par écrit prés de 50 ans après les événements, récits gravés dans le parchemin comme on grave les initiales des fiancés dans une « Alliance d'or ». Les détails ne concordent pas, c'est une richesse. Dans leurs diversités, ils témoignent de l'émotion d'une rencontre entre Jésus et ses amis et aussi de 50 ans de fidélité et d'approfondissement de la foi dans les des diverses communautés chrétiennes. Là aussi « les fruits ont dépassé la promesse des fleurs ». Au départ donc une rencontre décisive qui a bouleversé leur vie. Une rencontre décisive qui allait faire naître des communautés de croyants.
Dans tous les récits revient le choc ,le ''coup de foudre'' d'une rencontre avec l'ami que l'on croyait perdu : « C'est le cœur tout brulant » des jeunes disciples sur le chemin d'Emmaüs ; Ce sont Les pleurs de Marie Madeleine puis la douceur du mot Hébreux : « Rabbouni » quand elle reconnait Jésus ; C'est le « mon Seigneur et mon Dieu » de Thomas et enfin le « Pierre m'aimes tu » de Jésus répété 3 fois et la triple réponse de Pierre : « mais Seigneur, tu le sais que je t'aime ! »
Le retour de Jésus n'est pas celui d'un revenant ou d'un extra terrestre mais celui d'un ami. Au delà de la surprise, il y a la joie des retrouvailles. Tous les récits concordent : « En voyant le Seigneur les disciples furent tous à la joie »(2) Une joie partagée par les femmes du groupe : « quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples »(3) Une joie telle qu'elle les laisse pantois : « Comme sous l'effet de la joie, ils refusaient de croire et demeuraient ébahis »(4) Cette joie va marquer les disciples tout au long de leur vie. Dans sa vieillesse, en écrivant sa première lettre aux chrétiens qu'il appelle affectueusement« ses petits enfants », Jean évoque cette joie qui s'est approfondie en la communiquant. « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de Vie.... nous vous l'annonçons...et nous vous l'écrivons pour que notre joie soit complète. »(5)Jean parle bien de « sa » joie. Celle du témoin, heureux longtemps après les événements, de partager ce qu'il a « touché du Verbe de vie » et de l'écrire pour le bonheur des communautés de chrétiens de la province d'Asie mineure et le nôtre 2000 ans après. Il me plait quand à moi de savoir que toute l'aventure chrétienne a commencé dans cet éclatement de bonheur entre rires et larmes de joie. Cela me met de bonne humeur, et Vous ? Qui a dit qu'un chrétien triste est un bien triste chrétien ? D'ailleurs, « Les jeux de la foi ne seraient que cendres sans les feux de la joie »(6)
(1) Malherbe
(2)Jean ch.20/20
(3) Matthieu ch. 28/8
(4)Luc ch.24/41
(5) 1ére de Jean ch.1/1à4
(6) contrepèterie attribuée à Jacques Prévert.