Les pécheurs
Le vent se léve et ouvre de nouveau mon livre ,je vous emméne sur la plage :
« Qui ne rapièce pas un petit trou, en rapiécera des grands »(1) .
Happy end
"Petits et grands trous comblés, Pécheurs et pilotes amarrés désormais aux mêmes haussiéres."
La SPA ne défend pas les vers de côte, victimes de la passion de la pêche .Ces pauvres bêtes arrachés à la sombre fraicheur de la vase se tortillent dans la boîte où les pécheurs les ont jetés. Mais, comment plaindre ces tortillés alors qu’ils ne gémissent pas et souffrent en silence. Comment instruire la plainte silencieuse de ces bestioles, prisonnières de l’inconfort d’une boîte de conserve souvent rouillée ?
Comme le poinçonneur des lilas les pécheurs font des trous dans le sable .Des petits trous pour saisir entre pouce et index le ver précieux qui appâtera le poisson.
« Des petits trous, des petits trous encore des petits trous « et voila une plage gruyère. Quand l’eau des bâches et le sable ont obscurci la visière du casque, les pilotes de char sont en danger. Une roue dans un trou et ce peut être la catastrophe. Il n’y a pas de société protectrice des pilotes(SPP), à eux de pratiquer l’esquive en slalomant entre les trous de « Première et de deuxième classe »
. « Y a pas de soleil sous terre ! (1bis)» pas non plus sous le sable, Les vers ne s’en plaignent pas. Ils s’y cachent .Ils se mettent à l’abri des roues des chars .Ils s’enfoncent dans la vase nourricière et noire obligeant les pécheurs à faire des trous plus profonds pour les dénicher. Ça reste des petits trous de deuxième classe, alors qu’un char qui se retourne en fait un grand de première classe.
Ce qui me plait dans la chanson de Serges, c’est que dans le métro, il rêve et voit des vagues, il voit même un bateau au bout du quai qui vient le sortir du trou.Dans "la divague",n'y a til pas la vague ? Mario Avati dans ses estampes à la maniére noire (musée de Gravelines) transforme bien le poinconneur en faiseur de confettis. Les pilotes eux, ont bien de la chance ; Ils voient les vagues et les bateaux sans avoir à les rêver. Mais venons- en au récit de mon histoire :
C’était un matin, à marée basse .La plage était déserte. Le vent du Nord avait chassé les frileux. Restait trois pilotes courageux qui s’éclataient et un pécheur à trou, courbé sur sa bêche. Soudain, le pécheur se redresse, tend les bras comme pour un appel au secours, lâche sa bêche et s’effondre le nez dans le sable. Les 3 Chars s’arrêtent à la hauteur de l’homme. Louis s’y connait un peu en secourisme. Il diagnostique une AVC. A trois, Ils allongent le bonhomme sur le char de Louis qui libère sa voile et se fait prendre en remorque par le char de Jacques. C’est dans cet étrange équipage qu’ils parviennent au sana de Zuydcoote, grimpent sur la large digue et filent jusqu’à la porte où les attendent une équipe en blouse blanche. Avec son portable Bernard a prévenu le sana et suit derrière avec le matériel du pécheur sans oublier la voile du char « civière » et la boîte où grouille les vers qu’il tient précieusement dans la main gauche . Le spectacle était singulier, Un malade du sana a vu la scène, a pris en photo le "char Ambulance", il a ouvert son portable et a envoyé au journal photos et commentaires.
Le lendemain nos trois héros avaient droit à une page entière du quotidien. La direction du journal avait trouvé là un moyen de se racheter des articles incendiaires de la SPA publiés la semaine précédente dans lesquels les pilotes étaient accusés de légèreté pour le double " meurtre" d’un chien errant et d’une mouette. Une journaliste s’était déplacée tout exprès au sana, et avait interrogé le malade sauvé par l’intervention des pilotes. Le patient était un notable de Zuydcoote connu pour ses multiples engagements dans la commune. L’affaire a fait grand bruit et le blason du club redoré avec éclat.
Depuis ce temps là, une belle complicité s’est installée sur la côte entre les pilotes et les pécheurs. Pour faire leur trou , les pécheurs s’éloignent un peu des axes tracés par les roues des chars ,beaucoup se mettent à creuser avec une espèce de pompe qui fait des trous plus petits . « A petit trou, petite cheville et gros vers». Les chars de leur coté évitent de passer trop prés des pécheurs par grands vents.
Nos trois pilotes, héros du jour ayant leur nom dans le canard ont du ramener chacun une bouteille. Mais il n’est pas besoin de contrôle d’alcoolémie sur les plages pour inciter les pilotes à la modération. Seuls ici boivent beaucoup, les trous des pécheurs quand la mer monte, ne serait ce pas de là que vient l’expression « boire comme un trou » ?
Le grand Augustin croisa sur la plage un enfant qui avec une coquille st Jacques voulait mettre toute la mer dans un trou de pécheur. " C’est impossible mon enfant ! C’est comme si tu voulais te verser dans les oreilles tous les secrets et les mystéres du monde . Que le trou soit de première ou de deuxième classe, laisse la mer le combler quand elle monte. Bonne cantonnière ,elle fait bien les choses. Elle efface tout doucement sur le sable les trous des pécheurs" , comme les pas des amants dans la chanson "(3).
(1)proverbe auvergnat
1bis) Serges Gainsbourg le poinçonneur des lilas : « Le gars qu’on croise et qu’on ne regarde pas.
y a pas de soleil sous terre, drôle de croisière
Je fais des trous, des petits trous encore des petits trous
Des trous de seconde classe, des trous de première classe
Pour invalides changer à l’opéra
Parfois je rêve, je divague, je vois des vaguesEt dans la brume au bout du quai, je vois un bateau qui vient me chercher »
(2) sociéte protestrice des pilotes
(3) Yves Montand chantait Jacques Prévert.