Chapitre 3
Encore le cri du corbeau
Et voila ! Tandis que j'écris ces souvenirs, je suis rejoint par le même cri que ce matin .J'ai eu l'imprudence d'ouvrir ma fenêtre. Son cri, ce matin, m’a fait voyager avec vous dans le temps de mon enfance et le voila de nouveau qui me rejoint alors que je n'ai pas fini d’écrire. Ce corbeau est bavard. Mais ne vaut-il pas mieux ramage que commérage ou jacassement ? A t il décidé de redevenir mon ami ? D’ouvrir une conversation sur " face boock" ? Va t il ameuter ses amis pour me jouer un ramage "concerté »ou la petite phrase d’une sonate comme celle de Vinteuil chez les Verdurin , immortalisée par Proust dans son « amour de Swann ». Quels autres souvenirs va t il faire surgir ? Je n'aurai pas la force, rassurez vous, d'entamer comme Marcel une recherche complète du temps perdu.
Si, en le flattant comme fit le renard, je réussis à ce qu’il ouvre de nouveau son bec, à défaut de fromage, son ramage éveillera peut être d’autres souvenirs ?
« Il n’est pas possible qu’une musique, une sculpture, un cri qui donne une émotion plus élevée, plus pure, plus vraie, ne corresponde pas à une réalité spirituelle. Un cri mais aussi "le gout de la madeleine trempée dans une tasse de thé chez les Guermantés".
Avec vous, J’ai fait le tour du carré,. Il est temps de rentrer. C’est l’heure du thé et Il se met à pleuvoir. Le corbeau bohème et voyageur est parti rejoindre les siens, dans" la plaine, la plaine immensément à perdre haleine .La plaine, la plaine interminablement, toujours la même"(3), je ferme la fenêtre.et les souvenirs reviennent en force avec la musique du poème de Verhaeren.
Les ormes de l’avenue sont morts, centenaires. Ils ont vécu ce que vivent les ormes, un siècle, mais quel siècle !. Le vingtième, un siècle aux deux guerres et quatre génocides sans compter les guerres coloniales et les guerres civiles. Une superforteresse américaine touchée par la Flack a vidé ses soutes à bombes avant que l’équipage ne se parachute. La belle ordonnance de l’avenue a été chahutée. Elle a payé son tribut à la guerre. Quelques ormes fauchés, de grands trous d’argile jaune et une trouée que les nouveaux arbres plantés n’ont jamais réussi à combler. Les corbeaux volatilisés un instant sont revenus après la bombarde, fidèles jusqu’à la fin. De paisibles tilleuls, arbres de noblesses fleuries ont remplacé les ormes au sang bleu qui brulent encore dans les cheminées des vastes maisons qui ont remplacé le château brûlé par l’ennemi. Cette allée de tilleul guide le regard du visiteur mais il n’est plus levé vers quelques tourelles comme avant la guerre. Sic transit gloria mundi.