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Société - Page 228

  • trompe la mort 1

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    Récits autobiographiques  racontés par Louis Fernand Olbec

    la mort ne vous concerne pas..ni mort ni vif..: vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n’êtes plus »Montaigne, essais.

    Première partie

     

    Il était tout ridé avec une belle crinière de cheveux  blancs tirée à l’arrière et  tenue par   un  curieux anneau de cuir. Quel âge avait-il ? Il  m’appelait mon petit alors que j’approchai moi-même  les 80 ans. Nous étions tous deux  devant  la cheminée dans une pièce au  décor chargé qui aurait pu servir de modèle  à un peintre  flamand de l’âge d’or. Les fenêtres à petits vitraux  fumés donnaient  de  l’intimité  à ce  grand salon. Il n’y avait guère  qu’une ouverture du coté du couchant, un soleil rouge disparaissant derrière   des coteaux couronnés  de sapins et "comme un I dans le point  de vue ", un clocher au loin, très loin.Un I de lumiére ocre surmonté d'un immense point rouge et entouré des maisons d’un village. Le manoir  était entretenu avec soin. Les meubles cirés débordaient de livres  richement reliés, les murs étaient couverts de tableaux  dont deux attribués à Jean Fyt  : bouquets de fleurs et gibier , poil et plume, copies  soignées d’une  double nature morte. Sur  une table basse  entre les  fauteuils de cuir et  la flamme  vive  d’un bois de charme, une bouteille de calvados et deux  grands verres    ballons qui tenaient   chaud l’alcool au creux de la main.. Il m’appelait mon petit. Quel âge avait-il  donc ? Son œil vif, la joie qu’il avait à me  raconter  sa vie, son maintien droit, sa mimique, tout  chez lui dégageait   une impression de  jeunesse  et j’écoutais avec plaisir ce jeune vieux  vieillard faire le récit de sa vie.

     

     récit Premier ! : L’Accident

    -« Les années de guerre ont  impressionnées  tellement ma mémoire  qu’elles  ont effacé  les souvenirs de ma petite enfance. Je suis né  en Juin 40, j’avais  déjà 8 ans. J’ai vécu l’exode comme  des  grandes  vacances. J’ai su bien plus tard que mes parents avaient  de l’occupation allemande  en 14  un souvenir cruel  et avaient décidé de quitter la région pour la Vendée, avec l’espoir qu’un front sur  la Somme comme en 1916, arrêterait la Wehrmacht. Pour moi, c’était  l’aventure. J’ai gardé le souvenir  du fou rire  avec les cousins et cousines durant une nuit dans la paille  lors d’une étape. Pour éviter les grands axes encombrés et  régulièrement mitraillés, on  empruntait des  départementales  et allions  de bourgs en villages. Lors d’un arrêt pipi, j’ai traversé  la route  en courant, sans regarder .Une voiture  m’a accroché le pied  gauche, m’a fait virevolter  et transformé en toupie. J’ai atterri  en tourbillonnant  dans le fossé. Il y eut un grand tumulte, tous me croyaient  mort. Je me suis relevé sans dommage. Ce fût  ma première victoire sur une mort  en direct. Je faisais mentir Giono qui disait que « la mort attrape  d’abord ceux qui courent » (iris de Suze)

    Récit deuxième : Le tram H

     Au retour de Vendée, on   habita  en ville  durant une année. Sur la route de l’école il y avait un tramway. C’était le H. Il fallait payer  deux pièces  de 25 centimes. C’était une pièce trouée qui servait  aussi de rondelle pour relever  une porte ou serrer un boulon. Mais il y avait tant de monde aux heures de pointe qu’on voyageait  à l’extérieur  sur le marche pied  ou sur les pare chocs arrière. Je ne me souviens pas avoir payé une seule fois les deux piéces nécessaires  pour me rendre à l’école. On aurait pu 10 fois rouler  sous les roues ou se faire écharper par un camion. Au retour, on emplissait nos poches de craie  et lorsque le tramway se faisait  nommer désir comme l'écrivait Tenesse  , on  revenait à pied en  faisant sur les volets du boulevard les V de la victoire au risque de recevoir un coup de balai  d’une ménagère  en colère ,ou un coup de cravache de quelque officier allemand en passant devant la kommandantur. Derrière la maison, il y avait un grand mur de clôture  d’une largeur d’une brique, on jouait à l’équilibriste à 4 ou 5 mètres de hauteur, histoire d’épater les voisins. Ce mur s’est effondré un jour de tempête. Je ne sais si c’est à la septième bourrasque comme jadis le souffle des trompettes à Jéricho  mais ma mère  voyant la fragilité  de ce mur a pensé avec frayeur  au risque que j’avais pris   en  y défiant les voisins comme  les défenseurs  d’une ville se moquant des ennemis du haut  des remparts.  Voir  ce mur à terre la rassurait.  Ses fils ne  se casseraient plus le cou  en jouant aux funambules. 

    Récit  troisiéme :La charette

     « Après la ville, la campagne. Là le danger était quotidien. On grimpait aux arbres avec les frères et les cousins, on naviguait sur des radeaux de fortune sans savoir nager, on se promenait sur des échelles  plus ou moins branlantes dans l’usine .C’était une vielle distillerie qui ne tournait  que trois mois par an à la saison des betteraves. On poussait  des decauvilles sur des rails d’un petit mètre de large  dans les descentes des bassins de décantation .On bâtissait des cabanes à  grands coups de marteau .Il y avait donc le quotidien et aussi l’exceptionnel. Je me souviens, c’était  un Dimanche  alors qu’on s’apprêtait à se rendre au village  pour la messe. Le frère ainé avait attelé la jument grise, on l’appelait Paulette.  La charrette qui nous servait  de  véhicule de transport en commun avait des brancards  modernes qui se rabattaient. Le frère aîné n’avait pas encore tiré  et attaché les guides. Impatient comme on l’est à 10 ans, j’ai grimpé  et le cheval s’est mis  à marcher, trotter puis  galoper. Sans guide, j’étais impuissant à le retenir  ou  à le diriger d’autant que mes frères  se sont mis à courir et ne faisait que l’affoler avec leurs grands gestes et leurs cris. Finalement, la roue  gauche  de la charrette  a  heurté  le muret d’une mare, s’est élevé d’un bon mètre, a roulé quelque longueur  avant de faire la culbute. La jument  puissante a  continué à tirer  la charrette couchée  sur son essieu. Dans l’histoire  j’étais plutôt mal, prisonnier des bancs enchevêtrés qui m’avaient à moitié assommé. Les frères m’ont extrait du véhicule, amené à la maison où on m’a soigné comme  un grand blessé de guerre alors qu’une fois de plus, je n’avais rien. J’avais une fois de plus trompé la mort et pour la première fois loupé la messe.Le seul écart vraiment" mortel" affirmait ma grand mére ».

     
     Récit quatrième : jeux dangereux

    "Ah!Dieu que la guerre est jolie

    avec ses chants,ses longs loisirs"

      Le bourg  d’à coté  était sans cesse bombardé. Les anglais voulaient immobiliser la gare de triage. On a accueilli  à la maison et mis à l’abri  des bombes et de la faim, pour les grandes vacances, un étudiant  de la petite ville. .En échange, Il était censé nous aider  pour les devoirs de vacances et les cours de langues.  Un jour on décide d’aller  se balader  à l’étang dans la forêt .J’avais 10 ans , 4 frères plus âgés et des cousins. L’étang était quasiment vide. Une bombe était tombée sur le petit barrage  à la sortie du trop plein et l’eau  s’était écoulée. Dans la boue, collés à la glaise  tout un arsenal  et surtout des munitions que l’armée anglaise  en déroute avait balancée  dans l’étang en  Juin 40  avant  d’aller à Dunkerque  pour embarquer et retourner chez eux .On a allumé un grand feu ,amené  tout prés  des caisses d’ obus de mortier, des chapelets de balles de mitrailleuses , des caisses de grenades. On a compté jusque 3 et on a  tout  balancé  dans le feu puis   on s’est sauvé  pour plonger dans un fossé. Ce fut un beau feu d’artifice avec   roulement de tonnerre et explosions en série.Avec Apollinaire ,on trouvait "bien jolie"  notre guerre. Nos parents nous croyaient à l’abri  avec  notre prof  mais il était aussi gamin que nous. Ils n’ont su ce  qu’on avait  fait ce jour là que bien après.Quand la guerre et les grandes vacances étaient terminées .Il y avait prescription. Beaucoup d’enfants  se sont blessés voir tués  en jouant avec des munitions. C’était après la guerre .Nous n’avons  pas attendu  si longtemps.  Cela s’est passé durant l’  été 43  en pleine occupation. Mais il ne pouvait rien nous arriver de fâcheux et de plus ,J’avais la baraka. »

    Récit cinquième : Scarlatine et  résistance

    "Dans la résistance, la France reconnaissait ce qu'elle aurait voulu être"...1)

     Les allemands occupaient une partie de la maison. Une  salle à l’arrière  coté jardin pour les hommes  de troupe et une chambre à l’étage pour un officier .Cela ne leur suffisait pas. Ils voulaient une chambre de plus à l’étage. Ils voulaient donc me déloger de la chambre rouge que j’occupais. Alors  j’ai joué  le coup de la scarlatine .Je me  frottais  les joues avec la complicité de ma  mère  jusqu’à ce qu’elles  soient rouges  comme des pommes bien mures(Scarlatum = écarlate) et comme le papier de la chambre.Il me fallait garder le lit toute la journée  .C’était pendant les vacances et   ça a duré 3 Jours. Je faisais tellement le malheureux que ma mère a eu beaucoup de mal  à résister  aux allemands  qui  voulaient m’envoyer à l’hopital."Ca vaut mieux que d'attraper vraiment la scarlatine" (2) mais quand même ! Garder la chambre pour pouvoir  la garder, un comble !!! Au bout de trois jours, j’avais  gagné, j’avais   résisté à l’occupant .J’avais  contribué  avant les parisiens à libérer de l’occupation  une partie du territoire national et quelle partie ? Celle ou je  passais toutes mes nuits. "ça vaut mieux que d'attraper la mort aux rats" , dit la chanson (1) .Cela s'est terrminé par un éclat de rire à la Till l’espiègle devant le bon tour que j’avais joué à la Wermarch.

    1) Malraux  anti mémoire.

     (2)REFRAIN:

    Ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine

    Ça vaut mieux que d'avaler de la mort aux rats

    Ça vaut mieux que de sucer de la naphtaline

    Ça vaut mieux que de faire le zouave au Pont de l'Alma

     Nous avons plutôt tendance

    A prendre la vie tristement

    Et dans bien des circonstances

    On s'affole inutilement

    Qu'elle que soit notre malchance

    Dites-vous que ce n'est rien

    Tout ça n'a pas d'importance

    Car si on réfléchit bien

    Récit sixiéme : bombardement

     Je me souviens  avoir eu peur un jour. C’était  en été 44  après le débarquement des alliés en Normandie. D’Angleterre, les avions amis voulaient neutraliser en la bombardant  la rampe de lancement  que les allemands avaient installés  à l’orée du petit bois sur la colline .Tous les soirs ou presque  ,on devait se rendre à la cave pour une bonne heure  de secousses .Les bouteilles vidées  depuis longtemps( les vignes étaient en zone libre), chantaient sur leur support en tintant  à chaque bombe. Mon père avait installé  des poteaux  pour soutenir la voûte mais cette protection nous paraissait dérisoire  face à la violence  des explosions. Beaucoup se mettaient à prier avec une ferveur qui se faisait plus insistante  quand se rapprochaient  les secousses mais qui ne me rassurait pas du tout .Il arrivait  qu’un V1   rate son envol et tourne en rond  au dessus de nos têtes avant de  s’écraser quelque part non loin de chez nous. On l’entendait avec son bruit de  moteur deux temps, on l’apercevait parfois. C’était un  jeu de  roulette russe avec une  bombe allemande  destinée aux anglais  qui tournait au dessus  de la  tête des français. Déja la mondialisation(au sens propre  la deuxiéme guerre mondiale) . La bombe « volante » était remplie de tracts en anglais adressés aux londoniens pour les inviter  à cesser le combat, j’ai pu le vérifier en allant  dans la forêt  voir le grand trou   qu’une  d’entre elles avait fait  dans l’argile jaune(flandrienne supérieure)

    récit septième : Météor

     

    C’est  l’armée américaine qui  nous a libérés en Septembre 44. J’avais 12 ans .Quelques  jours avant l’arrivée des chars  ce fût la débâcle  de l’armée allemande. Pour arriver jusqu’en Hollande et s’y regrouper derrière le Rhin, les soldats  allemands  se saisissaient de tout ce qui  roulait, marchait ou trottait. Voiture d’enfants, Vélos, Poneys, chevaux. Ils ont pris les  chevaux de traits à la ferme  et ont laissé dans le fossé un demi-sang Normand épuisé par la marche forcée  qu’un  ober-lieutenant   lui avait imposée depuis Dieppe. Il a pris  la place des   chevaux de labour dans l’écurie. On l’a adopté, remis sur pied, baptisé météor (c’était ainsi qu’on désignait les  fusées V 1 que les allemands envoyaient sur Londres depuis le petit  bois  sur la colline). Et de fait  ce cheval était une vraie fusée. Quel bonheur à 12 ans   de galoper  dans les éteules, de sauter des fossés dans la forêt, de  courir après les chevreuils qui n’avaient pas été chassés de toute la guerre et s’étaient multipliés. Un jour  quelqu’un avait rangé  je ne sais où, la bride et la selle .Peu importe, je suis parti  à cru et guidai  ma « fusée » avec la seule pression des mollets. J’avais quand même mis  un bout de corde  dans  sa bouche pour  le ralentir en arrivant sur  la route, la main gauche tenant solidement la crinière. La rumeur a fait de moi  un  cavalier intrépide bon pour se faire embaucher   au cirque  Gruss  ou par les cadets de Saumur. De fait je n’y connaissais rien et n’avais jamais appris à monter un cheval .On montait  sans style, indifférent au spectacle que l’on donnait, mais on s’éclatait.  Heureusement ma pauvre mère avait une foi indéracinable en mon ange gardien comme  d’ailleurs en chacun des anges gardiens  de mes 5 Frères  tous  plus ou moins casse cou. 

    « la plus belle conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux  animal (appelé météor ?)qui partage avec lui  les fatigues de la guerre et la gloire des combats » Buffon .

     
    Récit huitième :la batteuse .

     

    La seule trace visible dans ma chair de tous les  dangers affrontés dans ma vie, c’est une phalange  qui manque à l’annuaire de la main droite. Regarde petit.( Grand père avance  la main gauche et tend le moignon vers la flamme du feu) Regarde ! Je n’ai pas besoin de tremper mon annulaire dans  mon verre de calvados comme  la madeleine  de Proust  dans la tasse de thé chez les Guermantes, vois  ce moignon ,il réveille mes souvenirs .Je  les porte dans ma chair .Ils  me rappellent les grandeurs et les servitudes  des métiers de la campagne.   Je devais avoir  14 ou 15ans .C’était la fin de l’été. L’époque où  l’on bat les récoltes dans les fermes. Je suis allé chez les cousins. C’était à une petite demi heure à cheval .La batteuse  était  entrainée par une  grande courroie  entrainée  elle-même par une machine à vapeur. Il fallait l’alimenter par le haut. Les céréales étaient happées  par un système de  fourches tournantes .Il fallait  amener les bottes au sommet  et les  libérer en coupant la ficelle. Orge, blé ou avoine  ça glissait tout seul mais  ce jour là,  on battait des haricots blancs et  les verts torturés, plus ou moins séchés   passaient mal. J’ai avancé la main pour  débourrer la machine, elle m’a saisi les doigts. La dernière phalange  pendait, cassée. Le médecin  du village  comme on faisait à l’époque  l’a coupée et jetée à la poubelle puis il a  recousu  grossièrement ce moignon qui défigure mon  annulaire , lui interdit tout passage d’anneau et me condamne   au célibat.

     
    C’était  mon tour, d’aller chercher une buche  vrillée  comme sont les bois de charme et de relancer le feu qui s’endormait. Saisissant la bouteille   le Viel  homme au cheveu blanc  noué  comme une crinière  me servit  son calvados  jusqu’au  maximum de la circonférence, ou du plus grand rayon si vous préférez, ce qui fait  en gros la moitié  du verre ballon , vous interdit la conduite automobile  pour 48 heures , vous délie la langue ou vous assomme. « On n’était pas couché » !!. Dehors le soleil avait disparu. Il ne restait plus  qu’une  lueur rouge  sombre  à l’horizon.