Récits autobiographiques racontés par Louis Fernand Olbec
“la mort ne vous concerne pas..ni mort ni vif..: vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n’êtes plus »Montaigne, essais.
Première partie
Il était tout ridé avec une belle crinière de cheveux blancs tirée à l’arrière et tenue par un curieux anneau de cuir. Quel âge avait-il ? Il m’appelait mon petit alors que j’approchai moi-même les 80 ans. Nous étions tous deux devant la cheminée dans une pièce au décor chargé qui aurait pu servir de modèle à un peintre flamand de l’âge d’or. Les fenêtres à petits vitraux fumés donnaient de l’intimité à ce grand salon. Il n’y avait guère qu’une ouverture du coté du couchant, un soleil rouge disparaissant derrière des coteaux couronnés de sapins et "comme un I dans le point de vue ", un clocher au loin, très loin.Un I de lumiére ocre surmonté d'un immense point rouge et entouré des maisons d’un village. Le manoir était entretenu avec soin. Les meubles cirés débordaient de livres richement reliés, les murs étaient couverts de tableaux dont deux attribués à Jean Fyt : bouquets de fleurs et gibier , poil et plume, copies soignées d’une double nature morte. Sur une table basse entre les fauteuils de cuir et la flamme vive d’un bois de charme, une bouteille de calvados et deux grands verres ballons qui tenaient chaud l’alcool au creux de la main.. Il m’appelait mon petit. Quel âge avait-il donc ? Son œil vif, la joie qu’il avait à me raconter sa vie, son maintien droit, sa mimique, tout chez lui dégageait une impression de jeunesse et j’écoutais avec plaisir ce jeune vieux vieillard faire le récit de sa vie.
récit Premier ! : L’Accident
-« Les années de guerre ont impressionnées tellement ma mémoire qu’elles ont effacé les souvenirs de ma petite enfance. Je suis né en Juin 40, j’avais déjà 8 ans. J’ai vécu l’exode comme des grandes vacances. J’ai su bien plus tard que mes parents avaient de l’occupation allemande en 14 un souvenir cruel et avaient décidé de quitter la région pour la Vendée, avec l’espoir qu’un front sur la Somme comme en 1916, arrêterait la Wehrmacht. Pour moi, c’était l’aventure. J’ai gardé le souvenir du fou rire avec les cousins et cousines durant une nuit dans la paille lors d’une étape. Pour éviter les grands axes encombrés et régulièrement mitraillés, on empruntait des départementales et allions de bourgs en villages. Lors d’un arrêt pipi, j’ai traversé la route en courant, sans regarder .Une voiture m’a accroché le pied gauche, m’a fait virevolter et transformé en toupie. J’ai atterri en tourbillonnant dans le fossé. Il y eut un grand tumulte, tous me croyaient mort. Je me suis relevé sans dommage. Ce fût ma première victoire sur une mort en direct. Je faisais mentir Giono qui disait que « la mort attrape d’abord ceux qui courent » (iris de Suze)
Récit deuxième : Le tram H
Au retour de Vendée, on habita en ville durant une année. Sur la route de l’école il y avait un tramway. C’était le H. Il fallait payer deux pièces de 25 centimes. C’était une pièce trouée qui servait aussi de rondelle pour relever une porte ou serrer un boulon. Mais il y avait tant de monde aux heures de pointe qu’on voyageait à l’extérieur sur le marche pied ou sur les pare chocs arrière. Je ne me souviens pas avoir payé une seule fois les deux piéces nécessaires pour me rendre à l’école. On aurait pu 10 fois rouler sous les roues ou se faire écharper par un camion. Au retour, on emplissait nos poches de craie et lorsque le tramway se faisait nommer désir comme l'écrivait Tenesse , on revenait à pied en faisant sur les volets du boulevard les V de la victoire au risque de recevoir un coup de balai d’une ménagère en colère ,ou un coup de cravache de quelque officier allemand en passant devant la kommandantur. Derrière la maison, il y avait un grand mur de clôture d’une largeur d’une brique, on jouait à l’équilibriste à 4 ou 5 mètres de hauteur, histoire d’épater les voisins. Ce mur s’est effondré un jour de tempête. Je ne sais si c’est à la septième bourrasque comme jadis le souffle des trompettes à Jéricho mais ma mère voyant la fragilité de ce mur a pensé avec frayeur au risque que j’avais pris en y défiant les voisins comme les défenseurs d’une ville se moquant des ennemis du haut des remparts. Voir ce mur à terre la rassurait. Ses fils ne se casseraient plus le cou en jouant aux funambules.
Récit troisiéme :La charette
« Après la ville, la campagne. Là le danger était quotidien. On grimpait aux arbres avec les frères et les cousins, on naviguait sur des radeaux de fortune sans savoir nager, on se promenait sur des échelles plus ou moins branlantes dans l’usine .C’était une vielle distillerie qui ne tournait que trois mois par an à la saison des betteraves. On poussait des decauvilles sur des rails d’un petit mètre de large dans les descentes des bassins de décantation .On bâtissait des cabanes à grands coups de marteau .Il y avait donc le quotidien et aussi l’exceptionnel. Je me souviens, c’était un Dimanche alors qu’on s’apprêtait à se rendre au village pour la messe. Le frère ainé avait attelé la jument grise, on l’appelait Paulette. La charrette qui nous servait de véhicule de transport en commun avait des brancards modernes qui se rabattaient. Le frère aîné n’avait pas encore tiré et attaché les guides. Impatient comme on l’est à 10 ans, j’ai grimpé et le cheval s’est mis à marcher, trotter puis galoper. Sans guide, j’étais impuissant à le retenir ou à le diriger d’autant que mes frères se sont mis à courir et ne faisait que l’affoler avec leurs grands gestes et leurs cris. Finalement, la roue gauche de la charrette a heurté le muret d’une mare, s’est élevé d’un bon mètre, a roulé quelque longueur avant de faire la culbute. La jument puissante a continué à tirer la charrette couchée sur son essieu. Dans l’histoire j’étais plutôt mal, prisonnier des bancs enchevêtrés qui m’avaient à moitié assommé. Les frères m’ont extrait du véhicule, amené à la maison où on m’a soigné comme un grand blessé de guerre alors qu’une fois de plus, je n’avais rien. J’avais une fois de plus trompé la mort et pour la première fois loupé la messe.Le seul écart vraiment" mortel" affirmait ma grand mére ».
Récit quatrième : jeux dangereux
"Ah!Dieu que la guerre est jolie
avec ses chants,ses longs loisirs"
Le bourg d’à coté était sans cesse bombardé. Les anglais voulaient immobiliser la gare de triage. On a accueilli à la maison et mis à l’abri des bombes et de la faim, pour les grandes vacances, un étudiant de la petite ville. .En échange, Il était censé nous aider pour les devoirs de vacances et les cours de langues. Un jour on décide d’aller se balader à l’étang dans la forêt .J’avais 10 ans , 4 frères plus âgés et des cousins. L’étang était quasiment vide. Une bombe était tombée sur le petit barrage à la sortie du trop plein et l’eau s’était écoulée. Dans la boue, collés à la glaise tout un arsenal et surtout des munitions que l’armée anglaise en déroute avait balancée dans l’étang en Juin 40 avant d’aller à Dunkerque pour embarquer et retourner chez eux .On a allumé un grand feu ,amené tout prés des caisses d’ obus de mortier, des chapelets de balles de mitrailleuses , des caisses de grenades. On a compté jusque 3 et on a tout balancé dans le feu puis on s’est sauvé pour plonger dans un fossé. Ce fut un beau feu d’artifice avec roulement de tonnerre et explosions en série.Avec Apollinaire ,on trouvait "bien jolie" notre guerre. Nos parents nous croyaient à l’abri avec notre prof mais il était aussi gamin que nous. Ils n’ont su ce qu’on avait fait ce jour là que bien après.Quand la guerre et les grandes vacances étaient terminées .Il y avait prescription. Beaucoup d’enfants se sont blessés voir tués en jouant avec des munitions. C’était après la guerre .Nous n’avons pas attendu si longtemps. Cela s’est passé durant l’ été 43 en pleine occupation. Mais il ne pouvait rien nous arriver de fâcheux et de plus ,J’avais la baraka. »
Récit cinquième : Scarlatine et résistance
"Dans la résistance, la France reconnaissait ce qu'elle aurait voulu être"...1)
Les allemands occupaient une partie de la maison. Une salle à l’arrière coté jardin pour les hommes de troupe et une chambre à l’étage pour un officier .Cela ne leur suffisait pas. Ils voulaient une chambre de plus à l’étage. Ils voulaient donc me déloger de la chambre rouge que j’occupais. Alors j’ai joué le coup de la scarlatine .Je me frottais les joues avec la complicité de ma mère jusqu’à ce qu’elles soient rouges comme des pommes bien mures(Scarlatum = écarlate) et comme le papier de la chambre.Il me fallait garder le lit toute la journée .C’était pendant les vacances et ça a duré 3 Jours. Je faisais tellement le malheureux que ma mère a eu beaucoup de mal à résister aux allemands qui voulaient m’envoyer à l’hopital."Ca vaut mieux que d'attraper vraiment la scarlatine" (2) mais quand même ! Garder la chambre pour pouvoir la garder, un comble !!! Au bout de trois jours, j’avais gagné, j’avais résisté à l’occupant .J’avais contribué avant les parisiens à libérer de l’occupation une partie du territoire national et quelle partie ? Celle ou je passais toutes mes nuits. "ça vaut mieux que d'attraper la mort aux rats" , dit la chanson (1) .Cela s'est terrminé par un éclat de rire à la Till l’espiègle devant le bon tour que j’avais joué à la Wermarch.
1) Malraux anti mémoire.
(2)REFRAIN:
Ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine
Ça vaut mieux que d'avaler de la mort aux rats
Ça vaut mieux que de sucer de la naphtaline
Ça vaut mieux que de faire le zouave au Pont de l'Alma
Nous avons plutôt tendance
A prendre la vie tristement
Et dans bien des circonstances
On s'affole inutilement
Qu'elle que soit notre malchance
Dites-vous que ce n'est rien
Tout ça n'a pas d'importance
Car si on réfléchit bien
Récit sixiéme : bombardement
Je me souviens avoir eu peur un jour. C’était en été 44 après le débarquement des alliés en Normandie. D’Angleterre, les avions amis voulaient neutraliser en la bombardant la rampe de lancement que les allemands avaient installés à l’orée du petit bois sur la colline .Tous les soirs ou presque ,on devait se rendre à la cave pour une bonne heure de secousses .Les bouteilles vidées depuis longtemps( les vignes étaient en zone libre), chantaient sur leur support en tintant à chaque bombe. Mon père avait installé des poteaux pour soutenir la voûte mais cette protection nous paraissait dérisoire face à la violence des explosions. Beaucoup se mettaient à prier avec une ferveur qui se faisait plus insistante quand se rapprochaient les secousses mais qui ne me rassurait pas du tout .Il arrivait qu’un V1 rate son envol et tourne en rond au dessus de nos têtes avant de s’écraser quelque part non loin de chez nous. On l’entendait avec son bruit de moteur deux temps, on l’apercevait parfois. C’était un jeu de roulette russe avec une bombe allemande destinée aux anglais qui tournait au dessus de la tête des français. Déja la mondialisation(au sens propre la deuxiéme guerre mondiale) . La bombe « volante » était remplie de tracts en anglais adressés aux londoniens pour les inviter à cesser le combat, j’ai pu le vérifier en allant dans la forêt voir le grand trou qu’une d’entre elles avait fait dans l’argile jaune(flandrienne supérieure)
récit septième : Météor
C’est l’armée américaine qui nous a libérés en Septembre 44. J’avais 12 ans .Quelques jours avant l’arrivée des chars ce fût la débâcle de l’armée allemande. Pour arriver jusqu’en Hollande et s’y regrouper derrière le Rhin, les soldats allemands se saisissaient de tout ce qui roulait, marchait ou trottait. Voiture d’enfants, Vélos, Poneys, chevaux. Ils ont pris les chevaux de traits à la ferme et ont laissé dans le fossé un demi-sang Normand épuisé par la marche forcée qu’un ober-lieutenant lui avait imposée depuis Dieppe. Il a pris la place des chevaux de labour dans l’écurie. On l’a adopté, remis sur pied, baptisé météor (c’était ainsi qu’on désignait les fusées V 1 que les allemands envoyaient sur Londres depuis le petit bois sur la colline). Et de fait ce cheval était une vraie fusée. Quel bonheur à 12 ans de galoper dans les éteules, de sauter des fossés dans la forêt, de courir après les chevreuils qui n’avaient pas été chassés de toute la guerre et s’étaient multipliés. Un jour quelqu’un avait rangé je ne sais où, la bride et la selle .Peu importe, je suis parti à cru et guidai ma « fusée » avec la seule pression des mollets. J’avais quand même mis un bout de corde dans sa bouche pour le ralentir en arrivant sur la route, la main gauche tenant solidement la crinière. La rumeur a fait de moi un cavalier intrépide bon pour se faire embaucher au cirque Gruss ou par les cadets de Saumur. De fait je n’y connaissais rien et n’avais jamais appris à monter un cheval .On montait sans style, indifférent au spectacle que l’on donnait, mais on s’éclatait. Heureusement ma pauvre mère avait une foi indéracinable en mon ange gardien comme d’ailleurs en chacun des anges gardiens de mes 5 Frères tous plus ou moins casse cou.
« la plus belle conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal (appelé météor ?)qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats » Buffon .
Récit huitième :la batteuse .
La seule trace visible dans ma chair de tous les dangers affrontés dans ma vie, c’est une phalange qui manque à l’annuaire de la main droite. Regarde petit.( Grand père avance la main gauche et tend le moignon vers la flamme du feu) Regarde ! Je n’ai pas besoin de tremper mon annulaire dans mon verre de calvados comme la madeleine de Proust dans la tasse de thé chez les Guermantes, vois ce moignon ,il réveille mes souvenirs .Je les porte dans ma chair .Ils me rappellent les grandeurs et les servitudes des métiers de la campagne. Je devais avoir 14 ou 15ans .C’était la fin de l’été. L’époque où l’on bat les récoltes dans les fermes. Je suis allé chez les cousins. C’était à une petite demi heure à cheval .La batteuse était entrainée par une grande courroie entrainée elle-même par une machine à vapeur. Il fallait l’alimenter par le haut. Les céréales étaient happées par un système de fourches tournantes .Il fallait amener les bottes au sommet et les libérer en coupant la ficelle. Orge, blé ou avoine ça glissait tout seul mais ce jour là, on battait des haricots blancs et les verts torturés, plus ou moins séchés passaient mal. J’ai avancé la main pour débourrer la machine, elle m’a saisi les doigts. La dernière phalange pendait, cassée. Le médecin du village comme on faisait à l’époque l’a coupée et jetée à la poubelle puis il a recousu grossièrement ce moignon qui défigure mon annulaire , lui interdit tout passage d’anneau et me condamne au célibat.
C’était mon tour, d’aller chercher une buche vrillée comme sont les bois de charme et de relancer le feu qui s’endormait. Saisissant la bouteille le Viel homme au cheveu blanc noué comme une crinière me servit son calvados jusqu’au maximum de la circonférence, ou du plus grand rayon si vous préférez, ce qui fait en gros la moitié du verre ballon , vous interdit la conduite automobile pour 48 heures , vous délie la langue ou vous assomme. « On n’était pas couché » !!. Dehors le soleil avait disparu. Il ne restait plus qu’une lueur rouge sombre à l’horizon.