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vie spirituelle - Page 265

  • la danse immobile

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     LA DANSE IMMOBILE  ( je me permets de vous remettre cette note au milieu du mois d'Aout comme en 2010) .

     

    « On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes Et toi-même  tu continue de désirer  ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion puisque  tu peux, à l’heure que tu veux te retirer en toi-même. Nulle part en effet, l’homme ne trouve  de plus tranquille  et de plus sure retraite que dans son âme. Il te reste donc  à te souvenir de la retraite  que tu peux trouver dans le petit havre de ton âme. »  Voila comme parlait Marc Aurèle aux romains qui  plus que nous  avaient  leurs raisons pour quitter  la chaleur  de leur ville en été  et  respirer ailleurs un air plus sain.

    Une opinion vulgaire (1) pour Marc Aurèle, c’est une opinion  commune,publique, celle  de tout le monde, celle  du moins des citoyens du peuple romain  dont il était empereur. Aujourd’hui, la recherche de lieux de « vacances », campagne, plage ou montagne   est devenue  effectivement l’affaire de tout le monde  si bien que les routes sont encombrées  tous les weekends et à chaque grand  départ . Plus qu’une opinion, cette démarche est  « vulgaire »( au sens  de  tristement commune , quasiment grégaire)  car pense Marc Aurèle, « Pourquoi chercher ailleurs ce qu’on  trouve en soi ? ».  Serait ce parce que l’homme aurait  perdu son chez soi, aurait  perdu son âme ? Il ne pourrait plus trouver en lui  une sûre retraite ? Il aurait  perdu la clef pour  trouver en soi  refuge  et  sérénité ?  Il lui faudrait  courir le monde dans l’espoir de trouver ailleurs ce qu’il ne trouve plus en lui ?

     Châteaubriant  disait  que l’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir, il porte avec lui l’immensité. Sauf qu’aujourd’hui, mondialisation oblige ,il  est  contraint de le faire  pour  vivre, contraint de s’agrandir à la dimension du monde .Mais  alors, pourquoi l’homme qui voyage toute l’année  pour son travail a encore besoin d’ encombrer  ses  congés  par la recherche  usante de  lieux  de retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes ? Marc Aurèle  affirme  qu’il peut, «  à l’heure qu’il veut et sans fatigue, se retirer en soi, et qu’il ne  trouve de plus sure et plus tranquille retraite que dans le havre  de son âme  ?»

    Les voyages disait  crument Céline : «  C’est  un petit vertige pour couillons ».

    et Giraudoux :

     -« Qu’as-tu vu dans ton exil,    disait à Spencer,  sa femme ?

    À Rome, à Vienne, à Pergame, à Calcutta ?

    - Rien, fit  il. Veux-tu découvrir le monde ?

    Ferme les yeux Rosemonde(2) ! »

    Mais   finalement  durant les congés il n’est qu’une minorité  de gens  qui voyagent  pour voyager et découvrir le monde. Le commun des mortels  cherche  simplement un coin tranquille ou se reposer,  l’homme  moderne en aurait  besoin,  pour  trouver en lui-même   la paix. Il cherche un coin d’ombre pour fermer les yeux, comme le recommande Spencer à Rosemonde. Personnellement, la première chose que je vois en arrivant  dans ma chacunière(3), mon  hameau savoyard, c’est  une clef sur une porte de grange, elle  y reste tout le jour et semble  me dire: « ici la confiance règne ». Cette clef  m’apaise  alors que j’habite  un quartier sensible où chacun s’enferme, elle m’ouvre la porte  qui donne accès, à l’intérieur de moi-même, à ce  lieu de « tranquille retraite ».

    Il n’y a donc pas de contradiction  entre la recherche   d’un havre de paix  et la réponse de la sagesse  stoïcienne   du philosophe empereur.  Les  vacances  à la campagne, à la mer ou à la montagne   nous donnent l’occasion  de  nous   retirer en nous même.

     Le faisons-nous ? Est-ce si facile   tandis qu’on  fait bronzette ou du char à voile,  qu’on plonge dans un lac  ou qu’on escalade  le rocher, qu’on  s’invite entre amis  à boire l’apéro  ou la tartiflette, qu’on « est mobilisé pour l’action, pour le remuement, pour le plaisir »(4), est ce si facile   de faire retraite à l’intérieur de soi  dans cette clairière paisible et lumineuse?. Il faut pour se faire  se « démobiliser » au sens propre, refuser  l’agitation, accepter l’immobilité.

    « C’est seulement dans les instants où il suspend son geste, ou sa parole, ou sa marche  en avant, que l’homme se sent porté à prendre conscience de soi. Le monde appartient à qui sait se tenir immobile(4)

    Les grandes révélations  sur l’âme humaine  sont venues d’hommes scotchés : Montaigne dans sa" chacunière", sa tour. Pascal dans son abbaye de Port Royal, Proust dans sa chambre tapissée de liège, Dostoïevski au bagne ,Voltaire à Cirey sur Blaise ( il affirmait même et c'est un comble venant de lui, que c'est Dieu qui avait fait pour lui ce lieu de retraite)(5) )Si L’homme en vacances  se disperse, s’il est disponible à tout sauf à lui-même, Son âme devient grégaire, « vulgaire » (1). il se contente de cette pensée courante, anonyme, qui lui arrive fanée et vieillie, « la pensée unique sans doute ».Il a toute chose a portée de la main sauf lui-même (4). Il a déserté  son logis, il a fermé la porte derrière lui, il a pris l’habitude de penser  comme  au café du commerce ou avec ses pieds.

    Si l’homme en vacances se ressource au contraire, sa vie intérieure   sauvegarde  au fond de lui   un refuge  et peut se superposer à sa tache  et à lui-même (4) .Voila de vraies vacances, les vacances que je vous souhaite, des vacances immobiles loin des agitations mondaines.

    Je termine  par le conseil d’un mystique  germain : «  Arrête, où cours tu donc ? Le ciel est en toi, le chercher ailleurs, c’est le manquer toujours » ,«  Ceux qui se contentent de l’espace et du temps, ne connaissent pas leur infini, agrandis ton cœur».(6)

    Isaac le Syrien   disait   aussi : « applique toi à entrer dans ta chambre intérieure et tu verras la chambre céleste »(7) et  Kabîr  de manière plus poétique : « Ne va pas au jardin des fleurs, oh ami, n’y va pas, en toi est le jardin des fleurs. (8)». St Bernard de clairvaux cité par Laurent Ulrich ,archevéque de Lille (prenons un peu de temps (9)), :"Si tu veux être tout entier à tous, je loue ton humanité mais à condition qu'elle soit pleine et totale.Comment le serait elle si tu t'en exclus? Pour que ton humanité soit pleine et entiére,il faut qu'elle t'inclue,toi aussi.... Jusque à quand  vas tu négliger de te recevoir toi même ?" Que le chronos,le temps qui dévore acceuille le kairos le temps de la grâce .Prenons et goûtons ensemble  ce temps."

     

    La danse immobile. 

     albanette_carte_postale2[1].jpg

    (1) Vulgaris opinio :opinion publique, commune.

    (2)Giraudoux.

    (3) « on a  chacun sa chacunière » Montaigne (voir médaillon ci contre ,le hameau vu du col)

    (4) Paul Gadenne  Discours de Gap. Contre- feux, revue littéraire .  (Lekti-écriture.com)

    (5)Au dessus de la porte  méridionale du chateau de son exil à Cirey ,il avait fait  graver  ,un peu par dérision, ce vers de Virgile :"Déus nobis  haec otia fécit".

    (6) Angélius Silésius :mystique  silésien  du 17 éme 

    (7) Isaac : ermite mystique à l’époque nestorienne.

    (8) Kabir : poète et réformateur religieux Indien

    .(9)Revue diocésaine Eglise de Lille n°11