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angoisse - Page 2

  • Quatre secondes

    4  secondes,

     C’est  quatre  fois  ce qu’on demande comme délai  à quelque demandeur pressé.

    « Une seconde, j’arrive ! » Plus exigents  certains demandent  « deux minutes » ou  disent   « minute » ! Tout court ! . Ce jour là, je n’ai  rien demandé au ciel. Ni, « une   seconde , Seigneur ! », ni, «  minute , Mon Dieu ! » Je n’ai eu que 4 secondes  pour descendre les 15 à 20 mètres  qui  séparent deux vires .C’est long  4 secondes. Assez long  pour  prendre conscience que c’est fini, que ce sont les dernières  , avec un  léger  pincement à l’estomac, mais trop court  pour  laisser gagner  vraiment  l’angoisse(1).J’étais  à 2800 mètres  sur une paroi « schisteuse », délicate , à longer une vire .Les  3  compagnons  étaient  passés, j’avais lové la corde  et n’avais plus qu’un pas à franchir pour les rejoindre, une formalité ! Un pan de paroi  s’est détaché  sur un simple appui et m’a entraîné dans le vide.  4 secondes, le temps qu’il faut pour  une masse de 90 kilos, mon corps  lesté du sac à dos pour descendre les 15 mètres  qui séparent  deux  vires. Le temps qu’il faut  pour se dire que c’est fini, quelques secondes  pour dire adieu à  la vie .Finalement, ce n’est pas   très difficile de mourir. Ce fût plus difficile de descendre  de ce mauvais pas ou j’avais entraîné  mes  compagnons de Cordée. La vire du dessous était enneigée, elle m’a accueillie  sur le dos en amortissant le choc  mais une volée de cailloux  s’est abattue  sur moi me fracassant la mâchoire .A moitié groggy ,j’ai rejoint  mes compagnons ,on s’est  saucissonné  et face à  une  pente schisteuse bien raide ,couloir  entre deux falaises  délitées , on est descendu comme un mille pattes jusqu’à l’alpage. Huit  godasses  bien à plat qui se laissent glisser doucement dans la pente ; ça a tenu ! Solidarité des pieds : l’un glisse  et l’autre retient, l’un bloque quand l’autre dérape. La chenille, tête en tête(2) s’est laissé glissé à petits pas  dérapants  jusqu’à l’alpage.Pas trés orthodoxe mais efficace. On a détaché le plus jeune qui a couru  chercher du secours. Cela s’est terminé avec  3 semaines  d’hôpital  en plein mois d’Aout : Vacances couchées  sous le soleil et courses  râpées. Quatre secondes, deux fois deux secondes à dévisser avec une mort attendue, logique : C’est fini ! Un grand vide pour un adieu à la vie, un grand vide aspirant  et un choc  surprenant. Je suis vivant ! Je me relève, je saigne au visage, pantalon  et chemise  en charpies, mais rien de cassé apparemment. Je tâte les jambes, les bras. Je rejoins  les compagnons, leur propose de continuer la ballade, mais   ils me regardent  terrifiés. «  Je ne dois pas être beau à voir »! On décide  de descendre au plus vite en prenant quelques risques  pour éviter que l’hémorragie ne me  vide de mon sang. C’est là qu’on a fait la chenille  dans le couloir. En  racontant  ce dévissage et  cette sortie,  me revient  un  récit  de  Malraux dans l’Espoir : la dernière descente vers  Linares« Sa mâchoire cassée…., il n’osait la soutenir de sa main et le sang ruisselait.II commençait à ne plus voir clair, sauf à ses pieds. Ses paupières supérieures gonflaient.(3) ….

    En descendant doucement dans la gorge ,en glissant à petits pas, j’ai vu  venir à ma rencontre les toits du village  . Depuis cette aventure, j’accueille  chaque minute et chaque seconde de ma vie comme  donné en surplus, comme un cadeau du ciel. Tout cela est arrivé il ya  prés de 20 ans ,cela fait combien de fois  quatre secondes ? plus de 400.000 fois  à dire : "deo  gratias" ,si ma calculette dit vrai.

    "Avoir la foi c'est monter la premiére marche même quand on ne voit pas tout l'escalier". En pastichant Luther King ,je dirais  que "avoir l'espérance, c'est  descendre la premiére marche vers l' abîme sans  le voir , en disant  "aléa jacta est".

     

     

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     (1) L’angoisse viendra   avec  la dernière heure, sans doute..En 4 secondes, je défie quiconque  de   laisser gagner en  lui l’angoisse métaphysique, fruit du " da sein ",de  la conscience  de son "être au monde" (Heidegger). On n’a même pas le temps d’avoir les boules, juste un pincement à l’estomac, un abandon à la chute et  un adieu à la vie.

    (2) la tête, c’est moi. Une tête saignante, un œil fermé par un pavé, un autre ouvert  pour  mener la cordée dans la descente périlleuse  de ce couloir  que je n’aurai jamais osé emprunter  sans l’urgence ou  nous  étions.

    (3)L'espoir,André Malraux : "Partout la pierre,la pierre d'Espagne,jaune et rouge au soleil que le ciel blanc rendait blafarde,plombée dans ses grandes ombres verticales...Obsédés par les pierres ils avançaient au pas,d'un pas ralenti à chaque rampe.Mais ce n'était pas la mort qui en ce moment s'accordait aux montagnes :C'était la volonté des hommes... on commençait à voir Linarés au fond de la gorge".