: « Glo,ooooo,ooooo,ooooo,ria, in excelsis déo. »
Noël
Ils connaissaient mes convictions mais on n’en avait jamais ouvertement parlé. Il a fallut qu’on se retrouve une nuit de Noël, à trente dans la paille d’un wagon(1).Dix huit mois de service militaire ensemble ,ça rend les hommes transparents les uns aux autres mais pas au point de se dire ouvertement ses convictions religieuses .On est prude comme des jouvencelles chez les paras encore plus chez les paras de choc, du moins sur ces choses là. La nuit étoilée, la destination inconnue, pleine d’incertitudes et de dangers, le lointain souvenir des Noël en famille, la paille qui évoquait l’étable où Jésus est né, un léger cafard enfin. Tout cela a balayé les silences et ouvert les écluses. Il a suffit qu’un copain sorte son harmonica et les chants ont jailli, des chants de Noël bien entendu ! Tout le répertoire y est passé. Ces chants qu’on nous passe en boucle aujourd’hui comme une marchandise dans les supermarchés de notre société libérale , ces chants de noël résonnaient de manière étrange tandis que nos pieds foulaient la paille de ce wagon qui s’enfonçait dans la nuit d’un pays inconnu . Les trente paras n’avaient pas appris ces chants dans des écouteurs branchés, high-tech mais bien dans l’église de leur village ou de leur quartier, dans les patronages, les mouvements de jeunes ou simplement devant la crèche en famille. Ces jeunes étaient des travailleurs, des paysans, des marins pêcheurs, des artisans des villes et des campagnes de France qu’on envoyait en Afrique faire une guerre dont ils ne comprenaient pas l’enjeu. Ces chants de Noël les identifiaient plus que les chants rythmés qu’on avait essayé en vain de leur apprendre avant de quitter la France.(2) Je me souviens des copains de Marseille , des durs qui ne connaissait de la religion que la « bonne mère »qu’ils avaient vu, avec le cœur gros , disparaître dans la brume tandis que le bateau s’éloignait des côtes françaises . Ils chantaient de bon cœur, le Still narcht dans un français de Canebière : « Douce nuit, sainte nuit ».(sain.ainteu ).cet enfant sur la paille(pailleu) endormi (eu) ». Les gares des villages étaient désertes. Seul le chef de gare et quelques bergers kabyles protégeant du train leurs chèvres pouvaient entendre ces chants invitant les hommes de bonne volonté à vivre en paix. «Jouez hautbois, résonnez musettes », l’harmonica faisait « musette » et relançait sans fin d’autres Noël. « Les anges dans nos campagnes », ce n’était pas des anges ces hommes qu’on envoyait au front même s’Ils avaient appris au bout de leur parachute à survoler la terre. Ils chantaient maintenant Gloooooo - ria et faisaient un chœur d’ Aptères dans la campagne africaine. Les mélodies de la nativité adoucissaient leur voix, rayées d’avoir crié leur refus de la guerre .Arraché à sa terre quelque part entre Tarn et Garonne, un jeune paysan soudain s’est mis à chanter seul, quelque chose de son pays. L’accent d’oc convient aux troubadours, c’était une complainte ou plutôt un cri déchirant d’amour courtois qu’on ne chantait pas à l’époque dans les églises .Elle ouvrait les cœurs à la mélancolie et rappelait des souvenirs émus ,ceux des dernières étreintes sur le quai de la gare ou de la dernière lettre reçue .. Dans le wagon de tête et celui , juste derrière le nôtre, tout le monde écoutait et quand notre troubadour s’est tu , il y eut plus d’une minute de silence bercé et rythmé par le crissement et le Tam Tam des roues sur le métal des rails . Puis l’harmonica de nouveau a relancé le chœur pour un autre chant de noël.
Depuis cette nuit de Noël dans la paille du wagon, je veille chaque année à ce que la paille soit fraiche dans la crèche de mon église pour accueillir l’enfant et sa mère. (3)
(1) 8 chevaux ou quarante hommes, en lettres blanches sur une planche bordeaux au coin du wagon de la SNCA qui nous emmenait d’Alger jusqu’à Batna. C’était au siècle dernier, en 55, la nuit de Noël. Toute une section d’un régiment parachutiste dit de choc subissant effectivement le choc d’un « voyage au bout de la nuit ».
(2)Notre lieutenant a voulu nous faire apprendre « un gai luron des Flandres, un, deux, trois, quatre, s’en vint en Wallonie, pour y conter des fables, un, deux, des fables de son pays tralala la, des fables de son pays ». Il exigeait deux voix, et n’en a eu aucune. Les trouffions n’avaient pas le cœur à chanter. Pourtant la chanson était jolie et le lieutenant chantait juste .Elle évoquait le bon temps ou les wallons écoutaient avec plaisir les conteurs flamands, et vice versa. Ce chant rythmé pour la marche au pas évoquait donc une paix perdue entre Wallons et Flamands .On nous le faisait chanter pour nous galvaniser au moment où l’on nous envoyait faire la guerre. Devant notre inertie, le lieutenant perdait pied .D’ailleurs y a-t-il encore de gais lurons en Flandres ? !
(3)Dans un village perdu en champagne humide, j’ai vu un jour, en guise de paille dans la crèche, de la vieille laine de verre défraichie et sale. La grandeur du silo à grain sur le plateau me faisait penser que la paille fraîche ne devait pas manquer dans le pays. Je me suis permis une remarque, elle a provoqué de la consternation,( On avait couché Jésus dans du poil à gratter arraché à la soupente d’un grenier) Depuis cette année, les paysans se battent pour qui aura l’honneur d’apporter la paille fraîche digne du divin enfant. Il a fallut organiser un tour pour que personne ne soit oublié. « Ma paille ? Qu’est ce qu’elle a ma paille ? Elle vaut bien celle de mon riche voisin ».
J’avais déclenché « la lutte des pailles ».
« Paix sur terre aux paysans de bonne volonté »
« Paille à volonté sur la bonne terre paysanne
Paille fraiche dans la crèche et paix dans les campagnes »
: « Glo,ooooo,ooooo,ooooo,ria, in exc