Des hommes au travail ? Au XXI éme siècle « le travail est le vaisseau fantôme de notre société : il navigue aux cieux vers un paradis inaccessible ou plonge dans le gouffre infernal de son double maudit, le chômage ….Ceux qui ne travaillent pas sont considérés comme des parasites, des profiteurs et ceux qui travaillent comme des privilégiés....... .Photographier des hommes au travail comme le fait Pêyrou, c’est résister à la disparition programmée de la classe ouvrière , l’invisibilité organisée du travail, la fatalité proclamée de la croissance du chômage.Ces prêtres ouvriers sont les invisibles des invisibles, quelques photos donne à ces hommes un visage alors que leur vie comme celle de beaucoup de travailleurs est occultée. » (2)
Il n’y a plus guère qu’Arlette pour commencer ses discours par travailleuses , travailleurs ! Au siècle dernier on parlait encore des ouvriers(1) .Aujourd’hui, même à la CGT, Les tracts s’adressent non plus aux ouvriers mais aux salariés, qui restent encore et toujours des camarades, bien entendu. Où sont donc les ouvriers ? Seraient-ils devenus invisibles ? Et la classe ouvrière ? Les six semaines de manifestation et grèves pour s’opposer aux lois nouvelles qui repoussent le départ à la retraite à 62 ans ont rendu visible un peuple de gauche. Etait- ce la masse ouvrière ? Personne ,sinon l'humanité, n’a décrit ainsi le mouvement Est-ce simplement une question de vocabulaire ?
Je termine la lecture d’un beau livre illustré de magnifiques photos par Joseph Peyrou . Ce livre de Gérard Mordillat s’appelle « les invisibles ».
Ce sont des hommes au travail, photographiés par Joseph Peyrou. Menuisiers, laveurs de vitres, métallos, maçons, mécaniciens, postiers. « Des professionnels saisis dans le geste quotidien de leur activité , à hauteur d’œil, à hauteur d’homme .Ces hommes au travail sont des prêtres ouvriers ,des P.O. comme on les appelle. »(2)
A Dunkerque, deux visages de ces « invisibles » sur la couverture de deux livres dans lesquels ils sont trois à témoigner : Bernard, Raymond et Jean.(3).Leur présence au port, à Sollac ,rue des passerelles et à l’Albech est rendue visible par l’impression de ces pages de feu ; mais qui rendra compte de la trace(4) que leur vie a laissé dans la mémoire ouvrière ? Comment rendre compte des retournements des cœurs et des engagements que leur témoignage a provoqué ?
Quand on interroge un retraité sur l’Eglise ,il parle du patro des années de guerre et d’après guerre où il a appris à jouer et à vivre ensemble, de la joc où il a découvert l’évangile et l’action, de l’ACO qui l’a une fois ou l’autre invité à un partage de vie ouvriére et surtout de cette poignée d’invisibles que sont les Prêtres ouvriers .
Il y a eu dans l’histoire de l’église des prêtres philosophes, professeurs, chercheurs émérites, médecins, certains ont écrit, témoigné, d’autres sont restés muets ; aucuns ,je crois, n’a eu la chance de ces invisibles : vivre en communion avec les travailleurs, incarné dans un monde d’une grande richesse humaine faite de solidarités dans les luttes, d’entraide dans les épreuves ,de simplicité fraternelle .Les photos d’art de Pêyrou pris à la bonne distance, dans leur épaisseur d’humanité sont comme des tableaux de Caravage ,dit il. «Lui aussi, il prenait pour modèle des apôtres aux visages marqués par la rudesse de la vie, des hommes aux mains épaisses ,vêtus d’ étoffes écrues ,aux corps modelés par le travail ,la fatigue et la faim ». (2) .On est loin des saints efféminés de St Sulpice , coulés en série dans le plâtre et peints en rose bonbon.
Je termine en recopiant simplement ce que Mordillat écrit au dos de son livre et dans lequel je me retrouve personnellement :INVISIBLES .Ces ouvriers du jour et de la nuit. Ceux des ateliers, des usines, des centres de tri, des garages, des chantiers,du port,des transports .Ces "saints sont ils allé en enfer"?(2bis) .Je ne le crois pas. Ils ont vécu au paradis des béatitudes avec les gens simples et les pauvres de coeur .L’air du temps voudrait qu’ils se taisent et disparaissent en silence. Ils sont pourtant là… On les appelle des prêtres ouvriers, des hommes en petit nombre. Des gaillards pas ordinaires. Toujours discrets, parfois bourrus. Au coude à coude avec leurs compagnons de travail ou de quartiers. Ils ne possèdent aucune lumière, ils la cherchent : Dans le grand vent des existences. Dans les gestes solidaires. Le mot lutte ne leur fait pas peur. Ils sont là ou nait la confiance. La où l’humain se construit. Bernard,Raymond et Jean auxquels j'associe Sévére, un autre Bernard ,Jean Marie,François et quelques autres ,notamment des prêtres marins .Ces prêtres ouvriers qui ont travaillé dans le dunkerquois depuis 50 ans ,ces invisibles qui ne se cachent pas mais sont connus sans qu'ils le cherchent; une façon discrète de témoigner de l'évangile.
Certains ont largué les amarres,ils nous ont quitté pour d'autres cieux ,bon vent! .St Pierre se souvient- il qu'il travaillait de ses mains à tirer les filets " pape ouvrier" si l'on veut ,quand il leur ouvre et ouvrira la porte du paradis ? D'autres p.o. tiennent bon dans leur double fidélité à Jésus et aux travailleurs, amarrés solidement à leurs convictions.
(1) A la joc , on chantait : sois fier ouvrier et on exaltait même la mémoire de Jésus ouvrier .Les livres de réflexion étaient édités aux éditions ouvrières ,les études étaient publiées dans la revue Masses ouvriéres etc. ..
(2) « Les invisibles » aux éditions de l’atelier de Joël Peyrou et Gérard Mordillat.
(2bis) Cesbron les saints vont en enfer.
(3)Bernard Tiberghien ,prêtre docker par Raymond Vandecastel et Jean Crepin. Raymond Vandecasteele Prêtre ouvrier "Lutter ensemble pour vivre mieux."Je n'ai pas scanné leur photo pour garder leur" invisibilité".
(4) une trace comme en fait un clou de charpente dans un savon de Marseille.