la dedeuche
Bienvenue au club ! Le club des octogénaires
Présentée au salon de l’auto en Octobre 48, elle a vue le jour en 1939 mais avait été conçue en 35, il y a donc bien 80 ans. Durant la guerre, les essais se sont poursuivis clandestinement, notre dedeuche nationale s’est ainsi apprêtée à sortir de l’ombre et des années sombres de l’occupation .Elle n’a chanté cocorico qu’après la libération. C’est ainsi qu’elle a gagné ses galons d’argent, galons de caporal soudés sur le capot en taule ondulée. Elle était sortie depuis 15 ans quand j’ai pu en acquérir une après 5 ans d’attente pour 200.000 anciens francs .(300 euros environ).C’était en 1962, à l’époque, un o.s. gagnait l’équivalent de 80 euros par mois , il fallait économiser longtemps pour l’acquérir ,aussi j’ai décidé un copain d’en acheter une à deux, en copropriété 50/50.Le souvenir de cette transaction me revient tandis que sous mes fenêtres , j’entends se plaindre un moteur de dedeuche. Une plainte dont l’air unique ne trompe pas et qui ravive les souvenirs mieux que le gout de la madeleine trempée dans le thé des Guermantés. On reconnait entre mille, ce bruit de mixeur qui se plaint et remplit les octogénaires de nostalgie et de tendres souvenirs .
Une deux chevaux pour deux, cela nous faisait un cheval chacun !. Comme elle ne pouvait se couper en quatre pour nous servir , on roulait en vélo ou on marchait à pied un jour sur deux .Je me souviens avoir attrapé de sacrées averses quand c’était le tour du copain de profiter du confort très relatif de la 4 roues. A chacun son tour, de se faire saucer .Ainsi va la vie !
Notre accord a tenu quelques années C’était les sixties et le début des trente glorieuses. Autour de nous avec le plein emploi ,les salaires augmentaient , la production de la dedeuche s’organisait , les délais d’attente était plus court .Les travailleurs ont fini par laisser leur vélo au vestiaire et s’acheter la 4 roues de leur rêve .Les plus fortunés l’achetaient neuve mais le plus souvent c’était sur le marché d’occasion. Nous avons cédé à la tentation, j’ai gardé la vieille et le copain s’en est acheté une neuve . A deux on a ainsi constitué un quadrige .A chacun ses deux chevaux gris pommelé .J’ai encore pris une bonne averse, mais c’était un jour d’orage, J’avais roulé imprudemment la bâche du toit.
Nos deux chevaux qui en font quatre maintenant , ont la même couleur et comme on peut les mettre en route avec une simple lime à ongle en guise de clef de contact, il fallait vérifier le numéro d’immatriculation pour ne pas partir avec la voiture du copain. Comme Ford 20 ans avant mais en noir, Citroën avait décidé que le client pouvait choisir la couleur à condition qu’elle soit grise.MBK à l’époque faisait pareil avec les mobylettes toutes uniformes « pervenche bleue- ciel » puis rouge incarnat.
Yolande Bachelier dans Vie nouvelle n°18 écrit qu’elle a été produite en 5 millions d’exemplaires (5.114.940 exactement) La dernière étant sortie de l’usine de Mangualde au Portugal en 1990.
A l’époque de la première acquisition et de ma transaction 50/50 avec le copain,( c’était en 1962), Picasso exposait l’impressionnant enlèvement des Sabines. On y voit deux chevaux furieusement mêlés, six sabots , une tête et un cul : un tête à queue dessous deux guerriers armés de glaives et dessous encore deux Sabines terrorisées .Nos deux chevaux ont eu l’intelligence de ne pas se rentrer dedans ni de nous métamorphoser en amazone . Par contre, quand je voyais nos deux fois deux chevaux stationner les uns à coté des autres ,Je pensais aux quadriges de par le monde , je rêvais de voyages : Je me projetais , sous l’arc du Carrousel , à la porte de Brandebourg ,voir même à Constantinople. Je m’envolais avec les chevaux ailés du pont Alexandre surtout quand les fenêtres non fixées se mettaient à se balancer comme des ailes au rythme des secousses. Chaque année je faisais la diagonale de Dunkerque à Chambéry par les départementales .La dedeuche ahanait dans les cols mais grimpait sans mollir même quand on était quatre et qu' on se partageaient un demi cheval chacun .On en parle encore(1) J’ai roulé par la suite dans une vieille WV ( en allemand voiture du peuple) . Pour moi la dedeuche fut la vraie voiture du peuple , la seule que j’ai réussi à réparer quand elle tombait en panne .Rien d’étonnant à ce que de nombreux clubs deuchistes poursuivent leur chemin avec cette drôle de petite voiture qui ,dit Yolande Bachelier, suscite toujours autant de passion.
Il existe encore aujourd’hui un marché pour les deux chevaux mais elles deviennent des pièces de musée et se vendent à prix d’or. Je roule désormais avec quatre chevaux. Sans faire d’excès, je roule plus vite que les meilleurs quadrilles des courses antiques, plus vite que mon char à voile même par vent fort, et plus vite aussi que ma première dedeuche . On n’arrête pas le progrès.
(1)Conversation sur les bords de l'Oise (1bis): J'étais le plus vieux dans le cercle d'amis à échanger dans un jardin ,la nuit venue . J'ai vérifié comment chacun se rappelait avec émotion une aventure vécue avec la dedeuche. Des pannes mémorables,des traversées folles de l'hexagone , des arrêts en catastrophe suite au câble sectionné du frein , des coudes meurtris par l’abaissement brutal de la fenêtre . C'était leur jeunesse qu' ils évoquaient .Voyage d'étudiant ou voyage de noces , le simple souvenir de la dedeuche donnait corps à des récits surprenants ,pleins d'une douce nostalgie .
(1bis) moins savante que "les conversations dans le Loir et Cher" de Claudel.