Je me souviendrai longtemps de cette nuit du nouvel an, passée cette année en compagnie de 60 Afghans et irakiens dans une tente que la commune leur avait montée dans la clairière perdue d’une « zone boisée ».Entre la ville et l’autoroute, cette zone, c’est 20 hectares de bois blancs que les « réfugiés » appellent la jungle .et dans laquelle ils campent en attendant le camion sauveur où se glisser. Des camions stationnent sur le parking en lisière du bois et transitent vers l’Angleterre par le Ferry boat du port Ouest de Dunkerque. La commune a monté la tente avec une soufflerie bruyante pour réchauffer ces hommes et leur permettre de résister à la dureté de l’hiver. Les « humanitaires » responsables ne pouvaient les laisser seuls la nuit du nouvel an. Les copains réveillonnaient en famille, je me suis proposé. J’étais seul dans ce « bivouac », seul du moins à savoir que c’était la nuit de la St Sylvestre. C’était une magnifique nuit de pleine lune. Orion s’ était couché à l’Est tandis que du coté de la polaire soufflait une bise glaciale .On était bien au chaud dans ce « marabout » malgré le bruit assourdissant du groupe électrogène et le sifflement de la soufflerie. Le boulanger est venu apporter les petits pains au chocolat qu’il n’avait pas vendu, un brave homme est venu dire bonsoir avec des oranges, puis chacun s’est allongé .Un jeune Afghan dont j’ai oublié le nom avait noté sur un morceau de carton « DREAM LONDON ». Les premiers à sombrer dans le sommeil entamaient peut être ce rêve d’une arrivée de l’autre coté du Channel, de la retrouvaille avec quelque cousin déjà installé en Angleterre. Peu avant minuit, j’ai annoncé à ceux qui ne dormaient pas encore que c’était la nouvelle année. Ils ne semblaient pas comprendre. Dans leur vie d’errance, Ils avaient depuis longtemps quitté le calendrier. Je les ai alors invités à sortir pour voir les premiers feux d’artifice au loin dans la ville. Ce fût un déchainement « de oh et de ah » qui ont réveillé toute la chambrée. Je me suis retrouvé en moins d’une minute entouré d’une troupe impressionnante d’hommes jeunes dont la moitié aurait pu être mes petits enfants. Tous voulaient voir de prés ces feux de Bengale, ces fusées, ces artifices, ces pétards, quitter la nuit sombre des bois, rejoindre les lumières de la fête. A la tête de cette troupe, j’ai descendu le mauvais chemin forestier, traversé la route et pénétré dans la cité. A chaque explosion d’une fusée, c’était des cris d’admiration répétés en cadence .Les gens de la fête sortant de table, rubiconds et endimanchés regardaient avec des yeux ronds cette troupe d’hommes sortie des bois. La ballade en ville a duré prés d’une heure .Je retiens l’immense éclat de rire qui a secoué ma « horde sauvage » quand deux jeunes filles affolées se sont mises à courir. On faisait peur alors que, bon enfant, on ne faisait que s’éclater comme éclatait les pétards du nouvel an. Un jeune irakien avait trouvé un paquet de fusée à peine entamé et prenait un grand plaisir à tracer des traits de lumière rouge dans la nuit retrouvée de notre bois. Ces explosions inoffensives lui faisaient elles oublier celles de Bagdad ? J’avoue avoir retrouvé avec soulagement le ronronnement du moteur et la chaleur du « marabout » mais Je rends grâce pour cette première heure du nouvel an 2009. Une bonne heure, un « bon-heur » (bona hora) suivi de bien d’autres je l’espère, car « bienheureux les gens simples, les doux, et les cœurs purs »(1). Une bonne heure, un vrai « bon-heur », un bain de jouvence pour une année nouvelle. Bonne année à ces jeunes après les épreuves de 2008 qui les ont poussés à l’exil, après les difficultés de leur longue errance de Kaboul ou Bagdad à Dunkerque. Bonne année à franchir le Pas de Calais et retrouver leurs proches.
(1) Matthieu 5 /2 à 12.Les béatitudes.