Je réédite en guise de voeux de nouvel an 2010 cette note fétiche qui a donné son nom à mon adresse blog "la face claire de la nuit".
Quelques heures d’avion, et le voici, jeune cadre envoyé par Bruxelles débarquant au désert attaché caisse et costume trois pièces.Il était dans la cité du pétrole, mais les double fenêtres et la moquette épaisse de sa suite n’ont pas empêché le silence de rentrer. Dés la dernière conférence, quand il s’est retrouvé seul, il a entendu son appel. Le silence du désert l’a happé comme il se souvenait avoir été un jour happé par « le vide aspirant de la mer » (1) Il est sorti à sa rencontre. Il a marché sur une route puis dans du sable. Il a traversé une plaine à cailloux et encore du sable et enfin le silence. L’impressionnant silence du désert après le brouhaha de la ville.Il allait faire ainsi le même trajet tous les soirs ne rentrant qu’à la nuit tombée jusqu’à ce dernier soir où il allait faire une rencontre décisive, celle d’un vieux marabout assis sur le sable et sous la palme devant son ermitage.
-Je te vois passer devant chez moi le soir, où vas-tu donc ainsi jeune homme ? Tu vas abîmer tes chaussures à traverser ce plateau plein de mauvais cailloux noirs ? »
-« Je m’éloigne de la cité du pétrole, vieil homme. Je vais à la rencontre du silence qui est venu m’appeler »
-« Assieds-toi un moment à l’ombre de ma palme. Quelqu’un qui cherche le silence ne peut être un mauvais homme. Veux- tu goûter à mon thé ? Il est toujours chaud sur les braises" .
-"Volontiers vieil homme. J’ai lu quelque part que le premier thé que l’on sert ici dans le désert est amer comme la vie !"
-"Comment peux-tu parler de l’amertume de la vie toi qui est jeune et plein d’avenir ? Mon thé, je te le sers de bon cœur, pour t’accueillir toi le chercheur de silence. Regarde le soleil là bas. Il s’empourpre avant d’aller se coucher derrière la dune. Bientôt tu ne le verras plus ; puis ce sera le grand spectacle de la nuit étoilée avec le grand silence que tu es venu chercher."
-"La nuit à Bruxelles, c’est le grand spectacle des lumières en ces temps de fête. C’est féérique."
-"C’est avec l’énergie que tu es venu ici extraire du sol, que tu éclaires ta ville, mais là n’est pas le problème. Ce soir. Tu me dis que tu es à la recherche du silence et cela m’intéresse moi, vieil homme de Dieu. Depuis plusieurs jours tu abîmes tes mocassins sur ces méchants cailloux à la recherche du silence.Sais tu au moins que le silence est habité? Sais tu que tu es sur le chemin de Dieu?
_"Dieu,il est comme ton soleil qui disparait derrière la dune. Il a disparu de mon horizon. »
-"Le soleil qui disparait derrière la dune va bientôt éclairer la lune, Tu n’en verras que le reflet. C’est ainsi que Dieu éclaire la nuit de notre monde."
Puis citant le coran : « Ne vois tu pas que Dieu fait pénétrer la nuit dans le jour et qu’il fait pénétrer le jour dans la nuit ? » (Sourate 35)
Alors, sans se lever, avec la longue arête crénelée d’une palme dépouillée, le marabout se met à tracer sur le sable, dos à dos, le premier et le dernier quartier de la lune.
-"Voici, à gauche , le premier quartier de la lune. C’est toi qui es dans la première partie de ta vie. Tu me dis que Dieu a disparu comme le soleil couchant derrière la dune. C’est ta vérité d’aujourd’hui. Une demi-vérité comme la lune que le soleil n’éclaire qu’en partie."
.-"Voici à droite, le dernier quartier de la lune.C’est moi qui suis dans la dernière partie de ma vie. Dans le silence du désert, j’ai cherché Dieu toute ma vie. Je crois que dans la nuit Il nous éclaire comme le soleil éclaire la lune Mais, comme toi, je n’ai encore qu’une partie de la vérité. C’est Ma Vérité ."
-"Voici donc nos deux vérités qui se tournent le dos. Je te propose un autre dessin qui te fera mieux comprendre les choses."
Avec sa mule le marabout efface les traces sur le sable et reprenant l’arête de sa palme il trace un autre dessin.
-"Je dis que la lumière qui éclaire ma longue vie est celle de Dieu qui me rejoint dans le silence de mes nuits. Tu dis que tu admires les lumières de la ville mais tu es attiré par le silence du désert. Je crois que nos deux vérités en se faisant face dans le dialogue se rapprochent." Comme les deux croissants de la lune, elles forment comme « une niche où se trouve une lampe ». (2)
Reprenant sa palme il dessine une lampe à huile.
-"Regarde l’étoile du berger, la première à briller dans le ciel. Bientôt ce sera mieux. Ce sera la féérie de la nuit étoilée".
Avec sa mule le vieux marabout efface la trace sur le sable.
-« Veux tu que je te serve une seconde tasse de thé ? Sais-tu ce que l’on dit au désert ? » - « Oui, on dit qu’il est fort comme l’amour et favorise l’écoute mutuelle »
-« Tu connais bien les choses ,jeune homme alors regarde.Reprenant sa palme, il trace deux quartiers qui ne font qu’un car ils se touchent.
Je pensais que l’homme religieux cherche dans le ciel une explication aux phénomènes qu’il ne comprend pas. Mais ce vieil homme de Dieu ne demande rien. Il ne demande pas au ciel pourquoi le vent fait chanter les tuyaux d’orgue de la falaise. Il écoute simplement la chanson du vent et cela lui suffit. Il ne demande pas pourquoi la lune brille pleinement ce soir et pourquoi il y a un premier et un dernier quartier. Simplement il m’a expliqué que quand le soleil disparaît à l’horizon on voit son reflet dans l’astre de la nuit et que cela suffirait à guider mes pas.
Soudain, sortant de l’ombre, il voit deux burnous le croiser puis des rires derrière lui. Alors il se rend compte qu’il a parlé tout seul. Il s’est parlé à lui-même. Est-ce à la nuit qu’il a confié ses questions ? Est-ce à lui-même qu’il a parlé ou à « l’habitant mystérieux du silence ? » Y a-t-il deux pôles en nous comme les deux quartiers de la lune qui se font face ou se tournent le dos ? Suis-je un autre pour moi-même ?Dans le confort retrouvé de la cité du pétrole derrière les murs capitonnés et les double vitrages, Il s’aperçoit en rangeant sa valise que le silence du désert l’a suivi. Un silence étourdissant qui l’empêche de dormir. Les hommes qu’il va retrouver demain en descendant d’avion se parlent ils tout seul comme il a fait tout à l’heure ? Ils semblent être toujours à l’extérieur d’eux même à courir, à communiquer à tout propos. Serait ce des hommes sans intérieur, des hommes évidés d’eux même ? Serait ce pour cela qu’ils semblent flotter, ballotés au gré des émotions et de tous les désirs possibles ?
L’hôtesse invite les passagers à boucler leur ceinture. Le voici prêt à affronter la descente. La rencontre du désert l’aura marqué à jamais. Mais comment peut-on vivre avec un silence habité au milieu d’un monde bruyant ? « Dieu habitera ton silence ! » lui a dit le marabout : « c’est lui qui viendra te rejoindre à l’intérieur de toi-même, laisse le faire».
i) Whythe
2) La lumiére sourate 35."Dieu est la lumiére des cieux et de la terre.Sa lumiére est comparable à une niche où se trouve une lampe.La lampe est dans un verre;le verre est semblable à une étoile brillante".