Voici tout d’abord un extrait d’une lettre de Dax (1) : « on ne trouve jamais que c’est trop bien ; il semble que l’homme est comme cela, il veut toujours le mieux ; il n’est jamais totalement satisfait ».Il y a dans la condition humaine une soif d’absolu jamais comblée ici bas .Seul Dieu peut tarir cette soif. « Il faudrait laisser le ciel de Dieu nous envahir et pouvoir dire comme St Paul : ce n’est plus moi qui vis, c’est Dieu qui vit en moi. »
« Ce n’est jamais trop bien », même quand c’est très bien(2). Ma grand- mère maternelle trouvant sans doute que l’adverbe " très" était usé, s’employait à le doubler. Pour souligner ce qui avait du prix à ses yeux, elle donnait dans le « très, très bien » et même parfois, elle changeait de mot, c’était « fort bien » et plus souvent « fort, fort bien ».Elle aurait sans doute aimé comme moi le glissement sémantique qui aboutit aujourd’hui à passer du très au trop et du trop au fort.
« C’est trop bien », dit on aujourd’hui et parfois même « c’est trop » tout court pour apprécier une situation ou dire son admiration. Quand on dit « c’est très bien », on donne une appréciation de prof. Mauvais élève, je n’ai eu droit que des « très bien » de dérision : « très bien, continuez comme ça et vous serez balayeur ! » Quand on dit "c’est trop bien" ou même « c’est trop » tout court, on exprime un cri d’admiration. En passant du très bien au trop bien on quitte le tableau noir de l’école pour un jardin fleuri et la blouse d’écolier pour l’habit de pierrot la lune. J’aime entendre un enfant dire : « c’est trop bien. » Il ne sait pas qu’il tord le cou au sens originel et usuel du mot trop(3) mais peu importe, la langue vit, laissons la vivre. Des adultes emboîtent le pas des jeunes, à leur tour ils s’exclament « c’est trop », ce sont ceux qui avec l’âge « s’enfoncent dans une autre enfance, celle qui non seulement n’est plus soumise au vieillissement mais possède le pouvoir de se renouveler toujours, c’est l’éternelle enfance de Dieu.»(4)Tandis que j'écris cette note j'apprends la mort de marie Mad, ma vielle cousine carmélite à Caen ,la voici qui brûle la politesse à sa tante et entre avant elle dans la danse des enfants de Dieu.
« Aller voir Dieu ! Quelle grande merveille ce sera , je ne saurai jamais assez le désirer…voir Dieu face à face, c’est l’éternité…le plus grand moment de ma vie toute entière quand je paraitrai devant Dieu pour le voir face à face, moment ineffable qui ouvrira mon éternité ". Je suis convaincu que lors de ce face à face, tante Dédette pour qui ,dans sa soif d’absolu,« rien n’est jamais trop bien », s’écriera malgré tout «c’est trop beau! », « c’est trop bien! », ou simplement, avec les yeux émerveillés : « c’est trop » !
Une derniére lettre de Dax est signée :" Votre Tante Dédette qui vous aime trés fort " .Pas besoin de dire : trés trés ou fort fort alors "qu'elle nous embrasse trés profondément" et qu'elle affirme:"sans vous connaitre je vous aime tous et chacun, et suis prés de vous dans la priére et une affection trés grande".Cette lettre a été envoyée pour Noêl 2010,elle servira pour Noêl 2011;2012,2013 2014,2015 etc...: " Que ces fêtes de Noël soit pleine de joie et pleine de Dieu dans chacune de vos âmes et que vous sachiez la communiquer et la faire comprendre a chacun de vos enfants,les plus petits comme les plus grands".
(1)A 97 ans, tante dédette de son monastère de Dax écrit à ses nombreux neveux de longues lettres où elle exprime son amour de Dieu et des hommes. (2) très vient du latin trans et souligne l’intensité d’un sentiment, d’une situation.
(3)Trop vient de throp, troupeau en francique. Ex : « Je t’invite toi seul et tu viens avec tout un troupeau( avec ton « throp »). C’est trop, forcément! ». Dans le sens restrictif, trop souligne un excès qui sème le doute : « trop poli pour être honnête »ou « trop beau pour être vrai » ou encore : « c’en est trop"
(4) La Tour du pin : « Chaque jour de ma vie m’enfonçait dans une autre enfance… ».
paysage de Flandres : trés beau,trop beau ou fort,fort beau ?