Je me souviens des retrouvailles émouvantes au retour de l’oflag où il avait passé des années. Il était le fils aîné et portait le prénom de son père .Son père se demandait s’il serait encore là pour l’accueillir à son retour. Il était en effet déjà âgé, veuf, un cœur fragile qui ne le mettait pas à l’abri d’une angine de poitrine .Il avait perdu sa femme et 3 enfants de la tuberculose, les allemands avaient mis le feu à sa grande maison. Il habitait une maison modeste au centre du village avec la famille de son dernier fils. Par hasard, J’étais là quand l’ainé est revenu et j’ai vu les embrassades et les pleurs d’André père et d’ André fils dans les bras l’un de l’autre, en larmes. j’étais là, j’avais 11 ou 12 ans. La guerre n’en finissant pas, André fils se demandait s’il reverrait son père comme André père s’il reverrait son fils. Officier fait prisonnier en 1940, il n’avait pas courbé la tête et pour marquer sa dignité face à l’ennemi, il avait entouré son uniforme d’un un soin jaloux( le dessein ci contre nous montre sa silhouette,à droite ) .Il m’impressionnait après des années de captivité avec ses bottes cirées et les plis impeccables de sa culotte d’officier de cavalerie. Avant guerre, avant d’être mobilisé, il habitait un couvent de dominicain et portait déjà avec élégance un uniforme blanc, c’était celui des frères de St Dominique. Tel était mon oncle André. Or voici que mon cousin Jean pierre trouve sur la toile un livre : « Ma paroisse derrière les barbelés » ou figure des conférences, des sermons, des méditations proposées aux prisonniers de l’Oflag par" l’oncle André". Il m’a scanné une conférence faite à l’occasion de Noël 1940 à quelques centaines d’officiers prisonniers. Je vous en donne des extraits en soulignant la date : C’était en Décembre 1940, quelques mois seulement après la défaite , leur enfermement derrière les barbelés et leur arrachement à leur famille et à leur pays.
.« Nos pensées en cette nuit singulière s’envolent, libres de toutes chaînes et de toutes frontières vers la France….avec la netteté que donnent la fidélité, l’amour et l’espoir, nous voyons la si douce scène de famille, cette crèche qu’on a réalisée avec tant de soins ;des petites têtes blondes et brunes se pressent tout autour et admirent .Ces épouses et ces mères, vaillantes comme sont les françaises n’ont pas trop de toute leur force d’âme pour ne pas pleurer. Voici que les petites têtes se penchent, que les petites mains se joignent, des voix enfantines s’élèvent : « petit Jésus, faites que papa revienne bientôt ».
Si le don des larmes est une grâce, Je trouve que l’oncle trouve tout à fait les mots pour transmettre cette grâce à tous ses auditeurs. Je ne crois pas que parmi ces centaines de pères de famille, il en est un seul qui n’ait pas été saisi par l’émotion et n’ait pas versé une larme à l’évocation de ses enfants priant loin de là, quelque part en France devant une crèche le soir de Noël pour le retour de papa. Les larmes coulent sans bruit mais les mouchoirs ont du sortir et ça s’entend. L’oncle s’est rendu compte qu’il avait soulevé une montagne d’émotion , Il reprend son discours : « C’est un Noël triste, pensez vous, parce que une des plus pures joies de cette vielle fête française était de la passer en famille, de se gâter les uns les autres par mille présents agréables. De tout cela et de la présence des êtres chers et de la liberté nous sommes cette fois privés. Occasion de contempler la crèche avec des yeux nouveaux ».
Je suppose qu’il a laissé à tous ces hommes le temps de sécher leurs larmes pour contempler le premier Noël qu’il évoque :.
« Je pense à cette naissance qui n’eut pour la protéger aucun toit pour abriter les hommes. Je pense à ce Messie qui n’eût pour berceau qu’une mangeoire d’animaux. Je pense à ce Dieu qui n’eût pour l’accueillir que des bergers simples et pauvres….. Pas le minimum de commodités qu’est un chez soi quelconque aussi modeste qu’il soit. Vraiment ce Dieu vient sur terre de manière telle que des prisonniers de guerre se trouvent comme de plain pied avec sa misère…cette misère dont aujourd’hui nous souffrons, voici que chaque année à Noël nous l’aimions et que la crèche de Jésus était pour tout chrétien le symbole de la joie .Pour la première fois ,peut être nous comprenons le mystère de ce Dieu pauvre : Il est pour l’humanité un immense enrichissement ».
« Jésus de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvreté » écrivait Paul aux dockers de Corinthe.(1) Il s’est mit de plain pied avec l’humanité ,de plain pied avec les plus pauvres des humains pour ne pas avoir à se pencher sur nos misères , pour ne pas nous sauver d’en haut mais à hauteur d’homme (de plain pied.) (2)(Larousse)
(1) deuxième lettre aux Corinthiens ch 8 /9
(2) plain pied : de planus, plat."De même niveau , sur un pied d'égalité"
Jésus dans la crèche serait aussi de plain- main,de plain- tête,de plain-coeur avec chacun de nous.Les chœurs des anges chantaient eux aussi la gloire de Dieu en plain-chant ?