la mine d’Antimoine (nador)
Cette fois, c’était en camion. On a grimpé vers le Nord, dépassé Constantine puis Souk-Ahras pour nous retrouver, en plein bled, dans un camp qui surplombait une mine d’antimoine, à 50 kilomètres de la frontière tunisienne. Comme radio, j’avais le privilège de loger dans la petite station, une maison en dur .La compagnie logeait dans des tentes , le capitaine et ses lieutenants s’étaient installé eux aussi dans une maison, celle de l’ancien fermier colon. Des barbelés en rouleaux fermaient l’ensemble. Comme radio, je devais rester dans le camp. Je voyais de manière quotidienne partir une section de nuit ou de jour pour « maintenir l’ordre » (1)dans le pays ,selon la « mission de pacification » reçue pour la compagnie. Un jour, le lieutenant m’a fait remplacer pour la vacation radio du matin et m’a emmené en opération. Il s’agissait de surprendre des fellaghas au petit matin dans un village où l’on avait appris qu’ils passaient la nuit. Tous feux éteints la compagnie s’est approché des maisons. Sans bruits, les trois sections ont commencé à encercler le village. Un copain a fait rouler son casque lourd sur un talus de pierre. Le bruit a réveillé les chiens. Le village était vide de tout combattant quand on y a pénétré. Maladresse ou trahison ? Les deux peut être, mais c’était la trahison d’une cause qu’il estimait injuste : « ces gens là sont chez eux" » m’a-t-il dit simplement en pensant à son village sous l'occupation.
Restaient les femmes et les enfants qu’on a réveillés pour fouiller les maisons. Les combattants avaient fuit avec leurs armes. On a rien trouvé. En bas du village, restait une mechta misérable. On a frappé à la porte qui s’est ouverte. Deux femmes affolées sont sorties en poussant des cris comme des poules devant l’intrusion d’un renard dans le poulailler. Un gros soldat de ma compagnie aussi apeuré qu’elles, arme son fusil et tire. Je lui ai donné une baffe magistrale, il a baissé son arme puis a reçu l’engueulade de sa vie. Heureusement , ce gros plein de soupe tirait comme un pied.
Des copains venaient écouter la radio à la station. On se branchait sur radio Luxembourg, puis on débattait en buvant le nescafé des colis venant de France et en fumant comme des sapeurs. Ma gifle magistrale est devenue emblématique, elle me plaçait résolument du coté des « pacifistes : essentiellement, quelques chrétiens de gauche, quelques communistes, et des « anars ». On a tenu à quelques uns le pari d’empêcher la torture dans notre secteur .Pas question d’utiliser la gégène pour torturer les prisonniers. Comme radio, il était facile de m’y opposer, j’étais incontournable.
Un jour, le téléphone est tombé en panne. Le lieutenant annonce qu’une expédition punitive irait raser la seule maison que la ligne longeait avant d’atteindre le prochain village. Il avait neigé, comment savoir si la panne était due à un sabotage ou au poids de la neige ? Les « pacifistes » ont demandé qu’une équipe de la section transmission aille vérifier sur place .Devant le refus du lieutenant et pour appuyer leur demande, ils ont décidé une grève dés le lendemain matin. Alertés par le « réseau »des pacifistes, le lendemain, les soldats ne se sont pas levés. Avec deux heures de retard et en trainant les pieds, savates délacées et braguettes ouvertes, cheveux en bataille et mal rasés, ils ont fini par se rassembler autour du mat où un bidasse avait monté un caleçon en guise de drapeau. On ne pouvait guère faire mieux comme débraillé. Ecœuré le capitaine a crié la quille et depuis ce jour là s’est allongé dans un transat au milieu du camp et ne l’a plus quitté. L’équipe de la section transmission est allé vérifier la ligne. De fait, c’était bien le poids de la neige qui avait étiré le fil. Il était allongé à l’épissure et non sectionné. Je ne sais si la maison isolée que le lieutenant voulait raser est encore debout ni si le fellah qui y habite a les moyens de se payer le branchement sur la ligne , sinon, je propose au gouvernement algérien de lui payer ce branchement, l’adsl et pourquoi pas l’ordinateur pour communiquer avec ses enfants à Alger ,Mostaganem ou Roubaix leur donner des nouvelles et leur dire qu’il doit d’avoir un toit sur la tête à une bande d’affreux et une compagnie de bidasses mal rasés.
1)Officiellement on n’était pas en guerre.