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paysan

  • le clythe

      Le  clythe,«  Klei » en néerlandais,  est  une glaise  jaune , collante et  tout aussi « attachante »(1)qu'elle soit  Yprésienne  ou flandrienne . On la trouve en abondance  dans les Flandres françaises et belges autour  de  collines qu'on appelle  pompeusement  monts de Flandres et dont Marguerite Yourcenar disait qu'ils  n'étaient que des bosses. (2) C'est dans cette argile que furent  en glaisés  plusieurs   hivers durant, l'armée anglaise  lors de la première guerre mondiale.  Le clythe faisait de ces « tommies »  des « terreux », comme le « slamait »  Péguy qui  dans un raccourci provoquant et choquant   prononce quelques béatitudes  pour ceux qui sont morts dans cette terre :

    «Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle

    Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle...

    Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

    Dans la première argile et dans la première terre »(3)

    Dans  son film  « l'humanité » , Dumont  laisse longuement traîner la caméra sur les labours  d'argile dans les plaines d'au-delà des monts .L'objectif  révèle mieux que l'œil  humain,  l' épaisseur  charnelle  de cette glaise  qui évoque  intentionnellement  la genèse  de «  l'humanité » avec  le récit coloré de la naissance de l'homme dans la première  argile et la première  terre.

    L'humanité  a comme père Adam  nous dit la Bible. « Adama » veut dire argile en hébreux. La  genèse   nous parle de Dieu comme d'un potier qui  façonne le premier homme  en le pétrissant. (4) « Premier argile et première terre ». L'aventure de l'homme prend symboliquement  sa source dans la glaise. Nous sommes  des terriens, terreux et charnels  qui avons reçu  la vie dans le souffle de Dieu. (5)

    Il est des gens qui ne se consolent pas d'être  homme et n'acceptent pas les limites que nous imposent  notre corps .Les lois de la pesanteur par exemple. Quand  un brave homme tombe du 10 éme étage et se tue, certains disent, c'est injuste, il était gentil. Les hommes  peuvent ils reprocher à Dieu de ne pas  leur avoir donné d'ailes ? Seraient-ils jaloux des anges ? Dans «  les ailes du désir »  Wenders met en scène  deux anges qui descendent  de quelque monument de Berlin  pour se mêler à la vie des hommes.  L'un d'eux  séduit  par  les tendresses humaines  choisit  de devenir mortel et de perdre ses ailes. A ce jour, aucun berlinois, aptère de naissance  ne s'est proposé pour prendre la place de cet ange déchu  au sommet du Reichstag. Il nous faut assumer notre condition terrestre, terreuse  et mortelle même si nous croyons aux forces de l'Esprit, même si nous  croyons que nous sommes habités par le souffle de Dieu. « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que, qui veut faire l'ange fait la bête »(6) ironisait  Pascal. Les  flamands ont mis  les anges  à leur place  dans  les retables baroques de leurs églises, ils sont trop aériens pour les labours. Eux , hominiens des plats pays  ont les pieds   sur terre et le cul terreux ,collé à un clythe qui est bien  lourd  à retourner.(7)  Dans  la noblesse de ce labeur, le laboureur  devient «  terreux » , mais le Dimanche  en gilet noir sur chemise blanche , il  tutoie  les anges.

    labour.jpg

     

    (1) Le garde de la forêt de Clairmarais  parlant du clythe dans lequel les chênes  prennent  racine, dit qu'il est tout à la fois  glissant et collant, ce qui le rend très  renversant et  si « attachant »(surtout aux bas de pantalon !)

    (2) Archives du Nord. Marguerite Yourcenar. « Ils bossuent ces basses terres » !

    (3) Charles Péguy. Souvenirs.

    (4) Genèse ch.2/7a : « Yahvé modela l'homme avec la glaise du sol (adama) »

    (5)Genèse  ch. 2/7b : « Yahvé insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint  un vivant »

    (6) Pascal, les pensées.

    (7)On ne laboure plus  guère, parait il ,  l'épaisse argile  aux sillons brillants pour laisser travailler les vers  qui ne craignent  plus  les mouettes dont   l'étonnant  ballet  suit encore parfois    le sillage de  derrière l'étrave de la charrue.