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  • Génépi

    Il y a les initiés, ceux qui savent   et il y a ceux qui désirent savoir. Tant qu’on ne l’a pas  touché du doigt et surtout  tant qu’on n’a pas respiré son parfum, on  interroge l’initié   à propos d’un tas de fleurs ramassées  de-ci delà au cours des ballades. A croire qu’on est  du pays  que quand on a  trouvé, à croire qu’on est  alpiniste  que lorsqu’on  a ramené les 40 brins nécessaires pour  faire  la gnole. Rite d’initiation  que ce «  filtre »  secret   qu’il faut aller chercher  dans les dalles à prés de 3000 mètres, faire macérer dans la gnole et déguster par grands froids. Le chercher est une chose le trouver une autre .La  vérité d’Evangile   en montagne ce n’est plus « qui cherche trouve » (1) mais plutôt «  Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent on en cherche »(2) Heureusement pour les initiés ,ce serait le pillage .Les initiés  détiennent un secret et  le partagent  peu .Ils ressemblent à ces  cueilleurs de morilles  au printemps .Ils ne refusent jamais de vous dire  où ils les ont trouvé mais ils sont tellement  évasifs  et imprécis  que vous pouvez toujours chercher.

     Quand vous faites une  voie  classique, si vous tombez sur  une grosse touffe de génépi, c’est sans doute que vous  vous êtes écarté de la  voie «  normale », peut être en train de faire une première .Si  plus haut vous  en trouvez encore, ne cherchez pas le clou vous n’êtes plus dans une voie équipée. Ne lâchez  pas les deux mains pour cueillir la touffe, çà peut être périlleux. Faites comme les couvreurs : une main pour la tuile, une main pour le patron et les pieds pour vous.

    Les clefs

    Le temps était moyen, brumeux, favorable  à une cueillette discrète  voire secrète du génépi. Avec une nièce, celle qui  porte un nom de fleur, nous voila parti  dans mon coin favori : une barre de rochers bien disposée  dans un alpage perdu au bout d’une petite route interminable. Dans une brume  dense, «  si dense qu’on ne voyait plus les nuages »(3) Nous avons  navigué dans l’alpage, progressant  dans de courtes éclaircies  de combes en rochers, de ruisseaux en torrents jusqu’à la barre enfin  bien dégagée dans le soleil. Dans un dernier passage un peu délicat, j’ai pensé au retour et  j’ai  fait des Kearns(4) mieux que le petit Poucet .Trois  pierres l’une sur l’autre tous les cinq  mètres. La barre rocheuse  a tenue sa promesse .Dans des creux  au sud, sud- Ouest de jolis bouquets  de 20 à 50 brins coupés aux ciseaux et glissé dans les poches. Cueillette silencieuse. Une hermine blanche curieuse   pousse son museau  au dessus de  ma tête. Quelques chamois ,loin dans la brume , font  rouler des pierres dans les moraines, nous sommes en bordure du parc de la Vanoise. Poches du  sac tyrolien bien rempli, on casse la croûte. Et voici  un vrai  nuage  cette fois, il  monte et s’accroche à nos rochers. On n’y voit plus à deux mètres. A quatre pattes, nous descendons de Kearns  en Kearns  jusqu’au torrent  qu’on longe  plus ou moins  dans la descente. Nous ne sommes pas  fâchés de  retrouver la voiture garée prés d’un chantier de remonte pente. Et voici la catastrophe, J’ai beau retourner mes poches et celles du sac, je ne trouve pas mes clefs de voiture. J’ai du les perdre dans la descente quelque part dans les nuages. Le chef de chantier me permet de téléphoner de la baraque à mon beau frère en vacances en Savoie. « allo ,j’ai perdu mes clefs en montagne, ma voiture est  dans l’alpage…J’ai un double accroché au clou dans la cuisine de mon appartement dans le Nord. Il  faut trouver  le collègue qui a la clef de chez moi, lui demander  de me l’expédier. La poste sera sans doute fermée, au plus tôt, deux jours  à attendre. Il faut commander  aussi une clef chez Renauld .Il faudra  un certain délai ,5 ou 6 jours sans doute, on verra » Dans cette baraque mal éclairée,  je  fais lecture de ma carte grise. « Puis je laisser ma voiture dans cet alpage perdu ? Que faire ? Pourra t il venir me chercher » ?  « Oui ! mais pas avant  la fin de  soirée, il faut  attendre  que la voiture revienne des courses ». Je raccroche et j’opte  finalement pour la solution la plus folle, affronter de nouveau la brume, repartir dans les nuages, retrouver  ma barre rocheuse qui culmine à 3000 mètres  et peut être mes clefs. Ma nièce est fatiguée, je ne peux lui imposer  cette épreuve. Je la confie  aux travailleurs du chantier  qui lui font du café  et la chouchoutent  comme leur fille. Je leur promets d’être là dans deux heures. J’ai failli plusieurs fois me perdre. La brume déforme  le moindre rocher Les Kearns ne m’ont pas servi à l’aller, mais j’ai  finalement retrouvé ma barre rocheuse et  à tâtons  l’endroit du pique nique. L’herbe un peu froissée, quelques noyaux de pruneaux, pas de doute  possible, c’est bien ici. Et c’est sans doute ici que je les ai perdu .Je tâte les touffes d’herbe, soulève un caillou, regarde alentour, toujours pas de clefs. Penché comme un sioux  sur le sentier de la guerre, j’entame la descente de Kearns en Kearns  à  tout petits pas, fouillant chaque pouce d’herbe, chaque gentiane, chaque  bouquet de violettes. Et le miracle s’est produit. Elles sont  là, à mi-distance entre deux Kearns, elles m’attendent gentiment couchées  dans  les jaunes  et les violets de pensées du mont Cenis .  J’ai pensé  à la femme  dont parle Jésus. Celle  qui avait perdu  une pièce  de monnaie,   la retrouve après avoir balayé sa maison et  qui  dans sa  joie  invite ses amies pour fêter l’événement(5). Dans ma joie d’avoir retrouvé mes clefs, je  presse le pas au risque de me casser la figure et je tiens l’heure annoncée. Deux heures pour  mon expédition : un record .Ma nièce m’attend, un peu angoissée. Les travailleurs du chantier n’était pas non plus très rassurés, c’est avec  joie  qu’ils me voient revenir. Je leur  ouvre le trésor  de mon sac à dos  et partage   de-ci delà  les 40 brins nécessaires pour le litre de gnole. Il nous en reste  suffisamment   pour  faire des heureux  au pays. Je téléphone au beau-frère qui par mail a déjà alerté le monde entier et doit décommander   toute démarche.

    Dans cet alpage perdu, j’aurais pu  penser  de suite  à la parabole de la brebis perdue que le bon pasteur va chercher dans la montagne, mais mon trousseau de clef   ressemble plus à la pièce de monnaie que la  ménagère retrouve après avoir balayé sa maison qu’à une brebis bêlante . Il est surtout et  heureusement moins lourd. J’aurais pu, me disent les âmes pieuses, invoquer St Antoine l’ermite des coins  perdus. Mais non, j’ai pensé à la joie de la ménagère dont nous parle St Luc en oubliant totalement que Jésus en parle en paraboles(6) pour  faire allusion à la joie du  ciel  quand un homme   retrouve  le bon chemin. Ma lecture est bien peu savante, elle fut toute simple comme ma joie. La   joie de  revenir   dans les temps, les clefs en poche, joie  à partager avec ma nièce  et  les travailleurs  qui se demandaient si le chercheur ne s’était pas lui-même  perdu comme ses  clefs.  Jésus nous dit  donc que cette joie ressemble à celle des « anges quand un seul pêcheur se convertit » Toi, le parpaillot  qui me lis, vois ce qu’il  te reste à faire pour réjouir les anges  avant de les tutoyer un jour dans le paradis.Et le génépi me direz-vous ? Celui que les non initiés cherchent  avec la même ardeur que la femme dont nous parle l’Evangile.  Eh bien  à vrai dire, Il a commencé par parfumer les clefs dans le fond de ma poche ;  elles ont depuis le parfum des retrouvailles. Ce génépi ensuite, Je l’ai « multiplié » en le partageant ; enfin, il m’en restait assez pour la gnole(7). Si vous passez  par là cet hiver, arrêtez-vous, je vous le ferai goûter .Ce sera  un avant goût du paradis.

     

    (1)Luc ch11/9

    (2) julos Beaucarne

    (3) l’idiot celui  du village et non de  Dostoïevski

    (4)Les Kearns : repères  fait de pierres superposées. Depuis ce jour, je bénis les Kearns  même quand il y en a de trop et  même quand il n’y en a pas assez.

    (5)Evangile de Luc Ch 15/8 à 10

    (6) « Il en va du royaume comme d’un cueilleur de génépi  qui avait perdu ses clefs  dans la montagne brumeuse, les ayant retrouvées, dans sa joie  il partage son génépi…»évangile selon saint olbec…

    (7) pour la recette, demandez  aux anciens  savoyards et faites la part des choses.