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tromper la mort

  • trompe la mort 2

    Deuxième partie

    « Vois tu petit, je t’ai raconté  ma vie  jusqu’à  mes 15 ans .Il me reste l’autre partie  autrement plus longue  .Le calvados va éclaircir ma voix mais il risque de t’endormir, ce n’est pas grave, je peux continuer à raconter  même  si tu  n’écoute plus .Je te réveillerai quand la buche que tu viens de mettre au feu  se sera totalement consumée  et que l’hiver envahira   le salon. »


    Je me suis calé au fond de mon fauteuil et ainsi « au cœur de l’hiver, j’apprenais qu’il y avait  dans ce vieil homme  un été invincible »(1)camus.

    ".Pas de danger de mourir de froid , ce soir devant la cheminée,le verre à la main ,  un plaid sur les épaules et un autre sur les genoux .Le vieux me racontait les légendes de sa vie avec une voix  chaleureuse  et parcheminée.Il me racontait sa vie  comme la   "légende  des siécles", faisant du moindre événement  une aventure épique.


    Récit neuviéme :la peur

    « Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur » faisait dire Beaumarchais au barbier de Séville .

    « Devenu grand, J’ai  frôlé la mort   de nouveau à plusieurs reprises  sauf là où elle a tragiquement sa place, à la guerre. C’était le  tout début   de cette  dernière guerre  coloniale. Les  insurgés  étaient encore mal armés, ils  tiraient de loin avec de vieux fusils de chasse. Avec quelques amis on s’opposait   à ce que les prisonniers soient mal traités voir torturés. Mais à aucun moment  je me suis senti menacé  par  ceux que notre discours  dérangeait même  lorsqu’on a organisé  une grève pour refuser  une ratonnade. Mon ange gardien, c’était les copains toujours prêts à la sédition pour défendre un des leurs. En opération dans  le désert, dans le djébel on faisait tellement de bruit  et soulevait tellement de poussière qu’il aurait fallut  que les insurgés soient  sourds ou aveugles pour se laisser  prendre dans la nasse. Le danger venait essentiellement  de certains  copains qui avaient peur en montant seuls la garde. C’était galère quand il fallait les relever  la nuit. On se faisait  connaitre de loin pour les rassurer. » -« C’est moi, fais pas le con !». Des ânes imprudents ont payé de leur vie leur approche des  barbelés. Ils auraient du  se présenter poliment, faire un «  hi an » inspirant de salutation plutôt qu’un « hi an » d’expiration avec une balle dans le ventre.


    récit  dixiéme : permis de conduire

     « Avant de partir à la guerre, j’ai passé mon permis de conduire. A l’époque, il n’y avait pas d’auto école. On apprenait le code dans un petit livre et  on apprenait à conduire dans  des routes isolées  de campagne avec  les frères ou les cousins  comme moniteurs. Au jour de la convocation, on empruntait  une voiture et on se rendait sur la place du bourg, lieu du rendez vous avec l’inspecteur. Je l’ai  embarqué  et très vite, j’ai refusé une priorité, brulé un feu rouge  et surtout pris un virage à gauche  pour me retrouver nez à nez avec un camion après un freinage musclé.

     « Arrêtez moi là, je rentre à pied, vous reviendrez dans 15 jours et d’ici la apprenez à conduire». L’inspecteur avait eu la peur de sa vie. C’était à l’époque le risque du métier  mais :

    « Ou serait le mérite si les héros n’avaient jamais peur »  disait Daudet à l'abri dans son moulin. Quinze jours après, j’ai fait  gaffe, tant  pour ménager le cœur de l’inspecteur que pour un permis qu’il m’a  généreusement octroyé.

     

     récit onzième : parachute.

    On ne s’habitue pas à sauter dans le vide. Du moins, moi. Jusqu’à mon dernier saut, j’ai eu l’estomac qui se serrait tandis que j’approchais  de la porte ouverte où sautait les premiers du stick. On avait beau  avoir appris  ce chant  viril :

    « Le stick est prêt/, tout le monde ira/ , pas un ne se/ dégonflera/parachutiste/,voit le ciel est clair/serre les dents/ il est temps de sauter/.

    C’était silence dans l’avion , un silence lourd  ou chacun pesait  gravement  le risque pris. Les hommes n’avaient pas le cœur à chanter.  Comment chanter d’ailleurs, même intérieurement, avec les dents serrées ?

    Apres avoir sauté, il fallait  faire un tour d’horizon pour ne pas gêner un copain, regarder  dessus et dessous ,voir   comment se présenterait  l’atterrissage, tracter  pour éviter d’être entrainé trop loin  par le vent, se mettre dans la  bonne position pour atterrir. On n’avait guère le temps d’avoir peur. Un jour,  après le saut, tandis que je  pliais mon parachute, le casse croûte de l’armée en bouche, je vois  un copain descendre  en torche. Le  parachute principal ne s’était pas bien ouvert, le ventral de secours  s’était  mélangé à l’autre, l’ensemble descendait beaucoup trop vite. On s’est précipité à son secours .On pensait  que c’en était fini de lui. On l’a déposé sur  un brancard, il a ouvert un œil, tendu la main  et dit d’une voix blanche : « Et mon casse croûte ? ». On était rassuré. Charles lui aussi était un trompe la mort.

     


    La centrale: douziéme récit

    la vie,la mort,les risques de la vie,tromper la mort

     

     J’ai longtemps  encadré des camps de jeunes en montagne. On randonnait  dans  des alpages et des forêts  mais  pas dans les sommets qui exerçaient  pourtant sur moi une grande attirance.. Un jour un gars du pays m’a proposé  de  faire la centrale. Ce n’est pas une usine électrique, mais la centrale des aiguilles d’Arves , une aiguille qui culminait à 3600 mètres  et dominait le paysage  au milieu  de deux autres  aiguilles. Les gens appellent l’ensemble : la Trinité des Arves. Le guide n’était  pas un professionnel, il était jeune mais    déjà expérimenté .Il nous a emmené la haut   par  une cheminée  verglacée  de plus de  100 mètres jusqu’au col des aiguilles . Un petit glacier à remonter, une vire pleine de neige fraiche  puis la dalle des italiens  jusqu’au sommet. On avait laissé  sacs, piolet, crampons,  parkas et pantalon  au pied de la dalle pour grimper en short et en chemise. Au sommet, peu de temps après nous, sont arrivés   un  alpiniste super équipé avec son guide. Plus de 10 poignées   sonnaient  à sa taille dans un grand bruit de quincaillerie.

    -« Attention de respecter la montagne si vous voulez qu’elle vous respecte ».

    Le guide  nous trouvait un peu léger dans notre équipement. En short et chemise, sans baudriers, ni  casques, ni  sac, ni piolet. Une simple corde de 30 mètres  pour  aller d’une rayure à l’autre  dans une immense dalle dressée, à peine équipée. Notre légèreté nous a servi à descendre rapidement  mais j’avoue que je n’en menai pas large  en désescaladant la  dalle puis la cheminée verglacée. Un copain que j’avais embarqué dans l’aventure paniquait même sérieusement, Il n’avait pas   comme moi  une longue expérience de “trompe la mort ». J’ai refait plusieurs fois  en tête  l’ascension de cette aiguille par la voie normale plus facile techniquement mais  difficile dans son cheminement  avec tout un système de vires ascendantes. Une année nous étions quatre. Lors d’un arrêt  à la descente  pour installer un relai dans un passage délicat Je m’aperçois que j’ai oublié mon sac au sommet. Je me suis fait sonner les cloches. .J’ai proposé aux copains de  se reposer  pendant que j’irai seul  le rechercher. Ils n’ont pas voulu, trouvant la chose   périlleuse. Mon assurance reposait sur la conviction qu’il ne pouvait rien m’arriver puisque toujours la mort  m’avait   épargné. Dans les quatre copains, il y en avait un  costaud  qui  s’est proposé  de m’accompagner  au sommet. Il avait déjà  le sac sur le dos et la corde à la main quand  on a entendu siffler derrière le gendarme  dessus notre tête. C’était tintin, un guide  du pays qui descendait avec un groupe. Il me descendait  aussi mon sac.  L’affaire était  donc, au sens propre, « dans le sac » .Merci Tintin !. 60 ans après les copains me reprochent encore ma légèreté .Ils n’ont jamais  digéré l’oubli du sac à dos au sommet de l'aiguille  et refusent tout droit de« prescription »pour les délits  de distraction.

    « il faut être léger comme l’oiseau mais non comme la plume ».  Valéry aurait donné raison  aux copains qui me trouvaient « un peu léger »(expression questionnante de Gilles qu'il accompagnait d'un hochement  balancé de la main) .Ils  craignaient  que  je m’envole comme une plume pour atterrir dans quelque gouffre.

     


    (1)Camus, "retour à Tipasa", cité par Aurenche  dans le souffle d’une vie : " Pour empêcher que la justice ne se racornisse, beau fruit orange  qui ne contient qu’une pulpe amère et sèche, je découvrais à Tipasa qu’il fallait garder intacte en soi une fraicheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec  cette lumière conquise…au cœur de l’hiver j’apprenais qu’il y avait  en moi un été invincible."

    (2) La tour du pin