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Lévres cousues

"on crie pour faire taire ce qui crie ".Henri  Michaux  Tranches de savoir.

Calais 9 Mars 2016

Les habitants du bidonville en grève de la faim sont maintenant douze. Deux nouvelles personnes les ayant rejoints hier et se sont  aussi cousu les lèvres.

Un blog (en anglais) a été créé pour suivre leur mouvement et communiquer leur message :

https://calaishungerstrike2016blog.wordpress.com/

On lira aussi cette tribune de Marguerite Stern, parue sur leplus.nouvelobs.com avec leurs lèvres cousues :


« je les considère comme mes frères »

Publié le 08-03-2016 à 18h32 – Modifié le 09-03-2016 à 09h40 Par Marguerite Stern
"Citoyenne militante
Il y a quelques jours à Calais, neuf iraniens se sont cousu la bouche, entamant une grève de la faim en signe de protestation contre le démantèlement d’une partie de la jungle ». Aujourd’hui, plus personne n’en parle, pourtant j’imagine que leurs plaies sont en train de cicatriser lentement autour des fils qu’ils ont cousu. Puisqu’ils ne sont ni célèbres, ni élus de la République, et encore moins citoyens français, personne ne leur donne vraiment la parole. (ils seraient bien en peine de la prendre mais leur geste est éloquent .

(D'’ou vient l’expression : motus et bouche cousue ? ) Voilà pourquoi aujourd’hui je parle d’eux, car même si je me trompe, cela vaudra toujours mieux qu’un silence.

Ils méritent plutôt d’être applaudis que d’être jetés dans la boue

Il me semble que la seule réponse politique apportée à ces gens a été celle du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, à la fois insensible et condescendant, estimant qu’ils avaient été manipulés, et les qualifiant d’extrémistes.

Moi, je crois plutôt que quand on est capable de s’opposer au régime dictatorial mené par Rohani, et de préférer s’exiler quitte à risquer d’en mourir, on possède suffisamment de libre arbitre et l’on mérite plutôt d’être applaudi que d’être jeté dans la boue. Ils ont le droit d’être écouté et d’être pris au sérieux.

 De la violence mais aussi de la solidarité

N’oublions pas d’abord, que la jungle de Calais , c’est le gouvernement qui l’a créé en expulsant les habitants de tous les petits squats de Calais et en construisant le centre Jules Ferry à une heure de marche du centre ville ( pratique récurrente  depuis la nuit des temps : éloigner les pauvres du centre, les renvoyer dans la périphérie) Dans la jungle une véritable ville s’était construite, des « maisons », des écoles, des lieux de cultes ont poussé. Des allées centrales, des merveilles d’architecture et d’ingénierie ont vu le jour. Et à l’intérieur de cette carcasse, une organisation sociale s’est développée, avec ses rapports de force bien sûr, ses problèmes inter communautaires, ses jeux de pouvoir…..
Comme dans toutes les villes, dans la Jungle il y avait de la violence Il n’est pas question de le nier. Mais il y avait par dessus tout une envie majeure de vivre et de construire ensemble.. le partage et la solidarité.

Puisque beaucoup de ses habitants ont fini par s’y sédentariser faute de réussir à passer en Angleterre, la Jungle était probablement devenue le seul lieu où ces douze réfugiés iraniens avaient pu trouver un « chez-soi » après de longs mois de périple.

Les mots ne suffisent plus

En détruisant la Jungle sans proposer de solution plus décente qu’un        « camp humanitaire » qui ressemble plus à un camp de détention, le gouvernement reproduit des violences que ces peuples en détresse ont déjà connues dans leurs pays d’origine. Ici, les bombes ont été remplacées par des bulldozers, des coups de matraques, des grenades lacrymogènes et même des canons à eau, mais le but est le même : détruire.

Alors, quand on vous arrache la couverture qui vous tient chaud depuis des mois, quand on démolit en dix minutes l’abri que vous avez mis une semaine à construire, quand on réduit au néant votre nécessaire de survie, soit vous abandonnez, soit vous continuez à vous battre avec ce que vous avez.

Il y a ceux qui jettent des pierres, c’est vrai. Mais il y a aussi ceux qui sont montés sur le toit de leurs cabanes et que la police a dégagés à coup de matraques alors qu’ils ne montraient aucun signe de violence. Ceux qui ont peint des pancartes et manifesté. Et puis, ceux qui en sont venus à se coudre les lèvres.

Puisqu’il ne leur reste plus rien, seulement leur corps pour s’exprimer. Puisqu’on dirait bien que les mots ne suffisent plus. Puisque de toute façon il ne leur reste plus rien à perdre. Puisqu’ils ont décidé qu’ils protesteraient contre la violence qu’ils subissent, mais qu’ils ne la perpétueraient pas.

L’ État souverain pratique la violence

Ça n’est surement pas la première fois que ces douze « activistes » sont confrontés à la violence et au chaos, sinon ils ne seraient pas là. Mais ici, c’est particulièrement grave puisqu’il s’agit d’une forme de violence spéciale. Une violence d’État.

Des coups et des blessures directement administrés par l’appareil qui régit nos lois et veille à les faire respecter. Des coups portés par des fonctionnaires de police hors du cadre de la légitime défense. Et c’est grave. Très grave même. Beaucoup trop grave pour rester silencieuse.

Beaucoup plus grave qu’une dizaine de pierres jetées par des demandeurs d’asile en détresse à une horde de CRS armés jusqu’aux dents.

Évidemment, aucune forme de violence n’est acceptable, mais il y a différents niveaux de gravité, et lorsque cela devient organisé, systémique, dirigé contre une certaine catégorie de personnes, et par dessus tout perpétré par un État souverain, on atteint le niveau maximal sur l’échelle de l’inacceptable.

Activistes, votre cri a été entendu

Par leurs décisions, nos dirigeants politiques complètement déconnectés de la réalité du terrain, se rendent tous les jours un peu plus coupables de ce que je n’ai pas peur d’appeler un crime d’État.

À cause de leur volonté de satisfaire avant tout l’électorat français de plus en plus nationaliste, ils en viennent à nier la plus belle chose que l’Histoire de notre pays ait vu naître : la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et du Citoyen. Et l’Histoire s’en souviendra.

Alors moi, je voudrais dire à ces douze « activistes » que nous sommes nombreuses et nombreux à penser à eux tous les jours. Je voudrais leur dire que leur combativité force l’admiration. Qu’ils ont raison de ne pas accepter. De ne pas se résigner.

Je voudrais leur dire que leur cri a été entendu. Que pour beaucoup d’entre nous il fait sens. Je voudrais leur dire que moi je les accepte dans mon pays. Que l’inconnu ne me fait pas peur. Que je les reconnais comme mes frères. »

Merci Marguerite pour ce cri du cœur. Je  me permets de l’éditer quasiment in extenso dans ce blog .Après un accident en montagne, on m’a bloqué un jour la mâchoire et donc fermé la bouche .J’ai du faire ainsi un discours    « bouche cousue » pour un anniversaire et me nourrir à la seringue. Je mesure ce qu’il en coute à ces grévistes iraniens de s’être cousu les lèvres , de s’être de manière prophétique réduits  eux même au silence.
Je vous cite un cri , celui d’Habaquq , un petit prophéte du 7 éme siécle .
« Malheur ! C’est la honte de ta maison que tu as décidé : Causer la fin de peuples en nombre est une atteinte à ta propre vie .Oui ! si les douze se taisent volontairement en se cousant les lèvres, la pierre du mur criera. et la poutre de la charpente lui répondra »(1)

 


(1) Habaquq ch 2 / v 10 et 11

 

Ci dessous, l'appel de Calais  :

 

Monsieur le président de la République, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’Intérieur,

le 21 octobre 2015, nous étions à l’initiative de l’Appel de Calais, signé par 800 personnalités de la société civile. L’Appel, qui se faisait l’écho de nombreuses associations sur place, demandait des conditions de vie décentes pour les réfugiés et la création rapide d’un véritable camp aux normes internationales. Dans les heures qui suivaient, Bernard Cazeneuve insistait pour nous recevoir. Il nous annonçait la construction d’une structure d’hébergement et nous assurait que l’accueil des réfugiés dans de bonnes conditions lui tenait à cœur autant qu’à nous. Nous l’avons écouté et avons décidé d’accorder à votre gouvernement le bénéfice du temps. Nous serions donc des observateurs vigilants de la réalisation de cette promesse. Depuis lors nous nous sommes relayés à Calais presque chaque jour : cinéastes, photographes, écrivains, sociologues, dessinateurs, philosophes, chercheurs...

Quatre mois plus tard, le démantèlement de la «jungle» est en train d’avoir lieu : la destruction des habitats de plusieurs milliers de personnes alors même que votre structure d’hébergement ne peut plus en accueillir que quelques centaines. Des bus affrétés pour envoyer - au hasard des maraudes de la préfecture - des réfugiés dans des «centres d’accueil et d’orientation» qui pour beaucoup sont des centres de vacances ouverts dans la précipitation, sans traducteurs ni soutien juridique. Rien qui permette aux migrants de s’informer de leurs droits ou de faire avancer leur demande d’asile. Vous aviez promis ce démantèlement sans violence et il n’est que flashball, gaz lacrymogènes, canons à eau et bulldozers. Des réfugiés meurtris sont livrés à eux-mêmes et vont devoir se réorganiser ailleurs dans des conditions de vie sans doute pires encore. Vous avez donc choisi, comme d’autres gouvernements avant vous, de déplacer une nouvelle fois le problème, sans aucune vision, aucune pensée à long terme.

Face à cette tribune, nous pouvons presque deviner ce que sera votre réponse médiatique. Vous nous opposerez un principe de réalité et fustigerez notre éloignement idéaliste du terrain. Vous plaiderez pour votre gestion volontariste, mettant en avant votre synthèse entre fermeté sécuritaire et humanisme. Vous légitimerez l’usage de la force en réaction à des soulèvements de migrants et de militants de No Border.

Mais en ce qui nous concerne, cet argumentaire ne tiendra pas, car il ne reflète pas la réalité dont nous pouvons témoigner. Et nous sommes pourtant nombreux à être allés à Calais ces quatre derniers mois. Nous avons dialogué avec de très nombreux migrants et bénévoles. Nous avons même créé au cœur de la jungle la structure d’aide juridique que vous avez toujours refusé de mettre en œuvre. Nous y avons recueilli des centaines de témoignages de réfugiés, effarés que la patrie des Lumières et des droits de l’homme leur réserve le pire accueil parmi les nombreux pays qu’ils avaient traversés.

La réalité, c’est qu’après avoir proposé l’actuel emplacement pour éloigner les migrants du centre-ville en avril 2015, vous avez maintenu le bidonville dans une zone de non-droit. La réalité, c’est que vous n’avez mis en place aucun centre d’accueil administratif ou juridique envers les réfugiés au sein du campement. La réalité, c’est que vous n’avez pas pris en charge les mineurs isolés comme l’impose pourtant la loi française. La réalité, enfin, c’est que vous avez pratiqué une politique de dissuasion systématique envers les réfugiés induisant l’idée nauséabonde de migrations de confort. Comme si quitter la Syrie ou l’Erythrée aujourd’hui était une question d’opportunité. Depuis le début du démantèlement du camp, ce sont des images d’une grande violence qui nous parviennent de la jungle. Faire la guerre à ceux qui la fuient, cela n’a pas de nom.

Force est donc de constater que l’Appel de Calais a échoué. Nous cherchions à nous faire entendre de vous et vous êtes restés sourds. Pire, vous avez employé la force. L’échec est complet.

Mais la reconnaissance de notre échec est aussi un acte de rupture.

Car en refusant de nous entendre, monsieur le président de la République, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’Intérieur, c’est vous qui nous avez perdus. Pour 2017 d’abord, puisque cette échéance semble être au cœur de toutes vos décisions. Vous nous avez perdus en transformant la situation calaisienne en enjeu national, là où il aurait été possible d’améliorer pragmatiquement la vie de tous ceux qui vivent sur place, migrants et calaisiens, en écoutant leurs expertises et celles des associations de terrain. Vous nous avez perdus en ne saisissant pas cette opportunité de renouer avec les valeurs humanistes et universalistes qui fondent notre République. Vous nous avez perdus avec le discours indécent de Manuel Valls à Munich contre la politique d’Angela Merkel qui sauve pourtant l’Europe du déshonneur. Vous nous avez perdus parce que vous avez menti et que vous avez usé de violence à l’encontre de ceux qui la fuient. Vous nous avez perdus alors même que sur les questions nationales vous trahissez, chaque jour un peu plus, les idéaux d’égalité et de justice sociale qui sont ceux de la gauche.

Aujourd’hui nous reconnaissons notre échec mais c’est votre défaite qui s’annonce. Notre engagement, quant à lui, n’en est que renforcé.

L’intégralité des témoignages est à retrouver sur : www.facebook.com/Pas-de-Calais


Cagnotte participative à l’initiative de l’Appel pour une cabane juridique : www.leetchi.com/c/solidarite-appeldecalais

 

 

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