Jeune et abstinence
Méditation sur un carême qui s’achève inspirée de Karl Rahner.("l’homme au miroir de l’année chrétienne "chez Mame)
« Les peuples d’Occident semblent soumis à l’épreuve d’un certain éloignement de Dieu,…un Dieu qui se dérobe à la prise de leurs facultés humaines…cette épreuve n’épargne pas les croyants : « Dieu ne semble plus avoir aucune espèce de réalité, son silence est impénétrable. Oui, Dieu ne semble être guère autre chose qu’un infini sans contenu. »(1) Et voila un drôle de jeûne pour vivre le carême. Un jeûne de Dieu, Une abstinence de Dieu. Voila un drôle de carême, un carême à l’envers, sans la présence rassurante d’un Dieu de miséricorde et d’un culte plein de consolations émotionnelles.
Dans les Flandres, à Dunkerque notamment, carnaval et carême commencent en même temps et se terminent le Lundi de Pâques à Cassel avec les géants Reuze papa et Reuze maman. Dieu n’est sans doute pas absent de la bande et du rigodon, mais les fifres couvrent ses appels et la bière comble les soifs. Les carnavaleux souffrent ils de l’éloignement de Dieu ? Ils ne semblent pas tristes, du moins tandis qu’ils chantent et dansent .Reste les réveils douloureux des lendemain de fête .
Dieu s’est écarté un peu de la bande mais n'est pas devenu lointain, encore moins hautain. Les carnavaleux font"abstinence" de priéres mais ils n’en tirent pas gloire .Ils gélent et jeunent quelque temps les relations suivies avec l'Eternel mais ne claironnent pas la mort de Dieu comme les athées militants du 19 éme siècle, comme si cette absence était un motif de fierté .« Pour eux, C’est un fait, tout simple ». Pourtant la souffrance de cette absence de Dieu, du jeûne et de l’abstinence de ce carême carnavalesque , existe bien . C’est La souffrance d’une génération qui a le vague souvenir d’un monde où Dieu faisait recette et qui s’aperçoit de son absence aujourd’hui.(2) Faire carême, c’est comprendre dans la foi cette absence de Dieu. C’est accepter ce jeûne de Dieu, un Dieu qu’on ne peut saisir, un Dieu qui échappe à nos émotions et à l’expérience immédiate. Paul, aux chrétiens de Corinthe qui cherchaient à se saisir de Dieu par la gnose ,des pratques esotériques, la glossolalie ,propose un test de vérité.: le test de l'amour(3)
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Un Dieu dont le silence est plein d’une Parole de quelqu’un qui est tout en tous et qu’on ne peut rencontrer que dans le silence .
Ce silence, le silence de Dieu, est plein d’un message inouï qui se résume en une affirmation : « Je suis là prés de toi »(1). Il est là. Ne jouons pas à colin Maillard ,ne cherchons pas à tâtons à vérifier sa présence ou à le palper avec l’avidité de notre cœur : « tu n’étreignerais que le vide parce que l’infini se dérobe nécessairement à nos prises »
L’absence de Dieu, Jésus l’a éprouvé dans son agonie à Gethsémani. Jusqu’à ce que, dans le jardin aux olives, s’élève sa voix de fils : « Père que ce calice s’éloigne de moi mais si tel est ta volonté, je ferais non ce que je veux mais ce que tu veux ». Ce silence de Dieu il l’a éprouvé à la croix Jusqu’à son dernier cri d’abandon et de confiance: « Père Je remets ma vie entre tes mains ». Si nous faisons nôtre cette attitude, si nous disons pour nous même cette prière de confiance , alors le vide de notre cœur face au silence de Dieu deviendra une plénitude et l’absence de Dieu, le lieu de notre intimité avec lui.(1)
Dans l’OFLAG n°6 ,mon oncle André , religieux dominicain et lieutenant de cavalerie préside en 1941 le chemin de croix du Vendredi saint pour ses frères prisonniers(4).A ces hommes qui viennent de passer leur premier hiver derrière les barbelés , il commente les paroles du Christ en croix. Des 7 paroles je ne retiendrais que la quatrième : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné. » Jésus vit un carême crucifiant et se heurte au silence de son Père, il va boire la coupe jusqu’à la lie. « Où sont-ils donc les amis de la veille ? Où sont-ils ces hommes et ces femmes qu’un seul regard avait conquis ? Où sont les guéris, les miraculés, les consolés, les pardonnés ? Les yeux de Jésus qui vont s’éteindre bientôt, ne croisent que des regards haineux ou indifférents(4). Même son Père fait silence comme s’il s’était éloigné de son fils alors qu’en fait il n’avait jamais été aussi proche, alors qu’il est cloué avec lui sur le bois, cloué avec le même clou.
(1) L’homme au miroir de l’année chrétienne de Karl Rahner chez Mame
(2) Des historiens appellent cela la sécularisation .
(3) « Je vais vous indiquer une voie supérieure à tous les charismes : Quand je parlerai en langues, quand je rentrerai en transe, s’il me manque l’Amour je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante …. » 1 ère aux Corinthiens chapitre 13.
(4) Une paroisse derrière les barbelés OFLAG VI . Les éditions Mame.