Chapitre
3 l’embauche
On est en début de matinée, ce Lundi, il fait encore sombre. Adrien colle sur la jente la petite dynamo qui alimente son feu rouge et la lampe de son phare de bicyclette. Il a dans la poche le papier avec l’adresse de Georges. C’est sur sa route. L’impasse est un ancien chemin de maraîcher. Coté impair, un garage isolé, un appentis, des jardins ouvriers mal clôturés avec des haies de troène taillées sans niveau ni règle, des taules rouillées et du grillage. Coté pair une dizaine de maisons petites et bien entretenues. Celle de Georges est au fond de l’impasse. La sonnette sonne claire, Georges ne tarde pas à ouvrir.
-« C’est vous ? Adrien ? Vous ne savez pas le plaisir que vous me faites en me rendant visite. Entrez donc.
-Je veux bien, à condition que tu me dises tu. Je suis parti à l’avance pour le resto. Il faut préparer la distribution de cet après midi On est un peu débordé. Comment ça va ?
-Comme tu le vois ! Je te présente Odile, ma femme, elle va un peu mieux. Mon fils est à Lille 3 en première année de licence de Géographie. Il va venir nous voir Dimanche. Les jumelles sont au collège et le petit dernier à l’école.
-Et le travail ça avance ??
-Toujours pareil. « On vous écrira » ! Au pole emploi, c’est un peu la pagaille avec la fusion de l’ANPE et des Assedic. J’ai quelques pistes mais l’espoir est mince. Les 26 mois d’indemnité sont passées, je suis en fin de droit comme ils disent, depuis trois mois déjà. Je vais bientôt recevoir le RSA m’ont-ils promis. Heureusement, il y a le resto du cœur.
-Oui, mais avec la misère qui s’aggrave, on est un peu débordé, je ne veux pas te détourner de ta recherche de travail mais si tu avais quelques heures à donner, tu serais le bienvenue. Surtout le Lundi matin à l’heure des livraisons.
-Eh bien, écoute ! Volontiers ! On s’est connu grâce à mon numéro de téléphone. Je te l’ai donné à ta demande pour servir. Il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. Tu peux compter sur moi Lundi. A quelle heure faut-il commencer ?
-Tu viens, disons à 8 h ? Tu n’habite pas trop loin, 10 minutes en vélo. Je passerai te prendre à 8 h-10 si tu veux, ça t’évitera de chercher. Bon weekend, à Lundi, je suis content que tu acceptes.
Chapitre 4 : le bonheur de servir
La maison du resto du cœur est un ancien bistrot. Deux portes donnent sur une pièce assez vaste. Derrière, reliée part un couloir étroit, une autre pièce sert d’entrepôt. Elle s’ouvre sur une petite cour où une camionnette peut rentrer en marche arrière par une grille qui donne sur une ruelle. C’est bien commode pour décharger les provisions et c’est là qu’en ce Lundi matin Adrien et Georges travaillent .Ils ont accrochés leur vélo à la grille coté rue, enfilé un bleu, avalé un café préparé par Sylvie et ils se sont mis au travail sans tarder. La camionnette est remplie de paquets de 6 litres de lait. Adrien prend 3 paquets d’un coup. Georges en pends 2 et les trouve déjà lourds. Ils les entreposent le long du mur sur une palette. Tout à l’heure les femmes qui font les colis ouvriront les paquets et mettront autant de litres qu’il y a d’enfants dans la famille à aider. Et c’est ainsi pour tout. A 10 h les femmes arrivent pour faire les colis .Elles sont 7 ou 8 à s’agiter dans l’entrepôt et à transporter les colis dans la pièce de devant par l’étroit couloir. L’humeur est joyeuse. Georges est content. Pour la première fois depuis deux ans, il se sent utile et le coude à coude du travail lui réchauffe le cœur. Adrien présente Georges à Mireille :
-T’as vu mon travailleur ? Il en met un coup ! Et dire que si je n’avais pas oublié de lui téléphoner, ça ferait déjà deux ans qu’il serait là. Enfin mieux vaut tard que jamais. C’est l’ouvrier « de la onzième heure »(3) Il aura le même salaire que moi qui suis de la première.. C’est à dire « zéro sous, zéro centime » avec en prime le bonheur de servir» comme dit Mireille..
-« Et dire que si je n’avais pas perdu mon trousseau de clefs, je n’aurai pas retrouvé son numéro de téléphone griffonné sur un ticket de caisse glissé sous mon bureau »,ajoute Adrien qui continue en se parlant à lui-même tout haut:
« Et dire que si j’avais jeté le ticket de caisse avec son numéro, il ne serait pas là à décharger sa 4 éme camionnette. »
-"avec des si, on met Paris dans une bouteille !" dit Sylvie. Et à propos de bouteilles, il y a encore une camionnette d’eau à décharger, avec « ton ouvrier » de la onzième heure, s’il le veut bien et, si bien sûr tu as encore de la force.
Sylvie se moque gentiment de mes si et en rajoute. Elle ne connait pas le conte persan des 3 princes de Sérendipe(1) qui trouvaient et recevaient en cadeau ce qu’ils ne cherchaient pas. Elle a trouvé sans la chercher, la joie qu’il y a à donner, une joie gratuite, cerise sur le gâteau et elle est contente de voir Georges heureux de mouiller sa chemise pour d’autres qui galèrent comme lui.
(1)conte persan : voir ci-dessous.
(2) « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Actes ch 20 /33(3)
(3)Matthieu ch. 20 : « les derniers seront les premiers"
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Conte persan
« Les trois fils du roi de Serendip (mot du perse ancien pour Sri-Lanka) refusèrent après une solide éducation de succéder à leur père. Le roi alors les expulsa. Ils partirent pour voir des pays différents et bien des choses merveilleuses dans le monde. Un jour, ils passèrent sur les traces d'un chameau. L'aîné observa que l'herbe à gauche de la trace était broutée mais que l'herbe de l'autre côté ne l'était pas. Il en conclut que le chameau ne voyait pas de l'œil droit. Le cadet remarqua sur le bord gauche du chemin des morceaux d'herbes mâchées de la taille d'une dent de chameau. Il reconnut alors que le chameau aurait perdu une dent. Du fait que les traces d'un pied de chameau étaient moins marquées dans le sol, le benjamin inféra que le chameau boitait. Les trois frères rencontrèrent ensuite un conducteur de chameau qui avait perdu son animal. Comme ils avaient déjà relevé beaucoup d'indices, ils lancèrent comme boutade au chamelier qu'ils avaient vu son chameau et, pour crédibiliser leur blague, ils énumérèrent les signes qui caractérisaient le chameau. Les caractéristiques s'avérèrent toutes justes. Accusés de vol, les trois frères furent jetés en prison. Ce ne fut qu'après que le chameau fut retrouvé sain et sauf par un villageois, qu'ils furent libérés, choisis pour leur sagacité comme conseillers à la cour, comblés de cadeaux, et invités à succéder à leur père.
. Cadeaux tombés du ciel qu’ils n’ont pas cherchés mais bien reçus, cadeaux princiers que d’aucuns nomment désormais une gratification « Sérendipiste » selon la simple application du principe de la « sérenpidité ».
Comme les 3 princes de ce conte persan, j'ai trouvé en cherchant mes clefs ,le papier sur lequel était griffonné le numéro de téléphone de Georges .Georges, a trouvé sans la chercher et en cadeau une joie perdue. Selon vos références, c’est une joie Sérendipiste, une joie évangélique donnée au « centuple par surcroit »(1) ou plus simplement « le bonheur de donner » à la façon de Mireille (bénévole au resto) et la bonne humeur de tous les « enfoirés »depuis Coluche, mais aussi de Luc qui a écrit dans les Actes : « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ».
(1) Marc ch10/30 : « Vous recevrez le centuple de ce que vous avez donné, dés maintenant et la vie éternelle dans l’avenir ».