Je vous ai sélectionné quelques notes sur les 250 que j’ai publié depuis 5 ans et vous l'offre en cadeau anniversaire ( ma première note date en effet de l'été 2008) .
On rit rarement d’une blague connue. Je me contenterais de votre sourire poli.
Exode 14/21
Marc 6/47.
Rire
"Mieux est de ris que de larmes écrire
pour ce que rire est le propre de l'homme" .Rabelais.
Ne me demandez pas ce que j’étais allé faire à la Charité sur Loire. Je ne m’en souviens pas. Par contre je me souviens d’y avoir manqué cruellement de Charité. C’était en hiver, il y a bien longtemps, je cherchais ma route. J’ouvre ma vitre droite et interpelle un passant.
-Pardon monsieur, la route de Verzy, s’il vous plait ?
Le monsieur au chapeau s’arrête, se retourne et se retrouve les 4 fers en l’air.
J’ai ri. Le trottoir était couvert de verglas, la chute de cet homme était donc logique, prévisible et pas drôle du tout. De plus ,cet homme s’est fait mal . Pourquoi ai-je éclaté de rire ? Je crois, analyse Sibony ,que c’est à cause d’une « différence vivace » ( 1) :
- Un homme au chapeau, au long manteau noir , marche dignement avec une jolie canne à pommeau d’ argent à la main droite et attaché caisse à la main gauche , et voila que, par ma faute ,il chute et se retrouve à terre , la canne dans le ruisseau (la faute à Rousseau), le chapeau à terre ( la faute à Voltaire). La jouissance du rire serait elle de faire place au mal ? Mon rire ce jour là a-t-il élevé le mal en spectacle ?(1bis)
-Différence vivace et soudaine entre la démarche digne, presque solennelle de ce notable et le grotesque de sa position humiliante.
-Différence vivace entre le service demandé qui appelait la reconnaissance et la gentillesse et la réponse cruelle et instantanée de la chute ,décalage entre un service demandé et une sanction totalement imméritée .
J’ai étouffé mon rire fou, j’ai mis sous cape mon fou- rire pour ne pas humilier l’homme au chapeau. Attentionné, Je lui ai même demandé s’il ne s’était pas fait mal.
Il a brossé de la main son manteau taché, récupéré canne et chapeau et joliment, s’est redressé et m’a dit ,en montrant avec sa canne la direction demandée ,comme si de rien n’était : « pour Verzy vous allez tout droit, vous passez le pont sur la Loire et sous la 4 voies et vous continuez. Apres Châteauneuf, attention dans les coteaux, ça glisse ».
J’ai démarré après avoir dit merci et plus loin le rire m’a rattrapé, un rire fou qui m’a secoué les épaules jusqu’à la sortie du pont de la Charité .J’ai du m’arrêter pour « décharger la charge signifiante que la chute du bonhomme avait provoqué en moi (1bis).».Le fou rire m’a fait pleurer au point que je ne voyais plus la route .Il m’a fallut 5 bonnes minutes pour sécher mes larmes puis reprendre mes esprits et la route de Verzy. La « différence vivace »(2) entre mon attitude peu charitable et la délicatesse de cet homme qui a peine redressé de sa chute sur le verglas me prévient du danger des coteaux de Châteauneuf a fait rebondir mon rire fou (fou rire). Bergson disait que « l’on rit lorsqu’à la place du vivant surgit le mort. On rit de n’être pas ce mort là ; C’est l’autre qui est mort (.mais pas pour de vrai,heureusement .) (1bis)Le bonhomme s’est relevé du trottoir où il avait chuté et je me suis rappelé ce que me racontait ma mère : « Quand un homme tombe, on rit. Quand un cheval tombe on dit « pauvre bête » (les maquignons eux savent pourquoi on dit pauvre bête. Ils savent qu’un animal « couronné » est bon pour l’équarrissage .Ma mère l’ignorait et se gaussait d’une différence vivace , entre la pitié envers un simple animal et le rire peu charitable que provoque la chute d’un homme .( Les 4 fers en l’air devraient désigner le cheval plutôt que le bonhomme ,mais ainsi va la langue française)
Il est une émission sur w 9 qui est censée nous faire rire de chûtes successives et cocasses. Elle porte bien son nom «à mourir de rire ».Elle m’a fait mourir d’ennui à entendre un public qui doit être bien payé pour rire ainsi sur commande du spectacle affligeant de gens qui se font mal en tombant. Le rire est du coté du mal faire mais habituellement il cherche un autre bien dans ce mal faire (1bis) .Dans cette émission de TV rien de tel ; c’est un rire bête et méchant, légèrement débile.
Ais je manqué de charité en riant sur le pont de la Charité sur Loire ? Sans doute alors même que je riais d’avoir provoqué la chute d’un homme sur un trottoir verglacé. Mon fou - rire était un rire fou, légèrement cynique face à un homme charmant et digne qui m’avait renseigné alors même que par mes demandes de renseignement, je l’avais fait chuter. Un homme que j’avais fait tomber et dont je riais alors qu’il me mettait en garde sur les dangers de verglas dans les coteaux de Chateauneuf . Finalement je riais de bon cœur et de très mauvaise foi face à un homme bien meilleur que moi .Je riais d’une différence vivace ,entre moi-même et mon cynisme et la noblesse de l’homme au grand cœur qui s’était relevé dignement pour me renseigner..
Mon rire était une « Suite de secousses ou je m’identifiais et me désentifiais, une série de saccades où mon souffle coupé rebondissais sur sa coupure pour se reprendre un peu au-delà. Cycle jouissant et productif de coupures redoublées »… «.Rire en effet, c’est se perdre de vue et se retrouver une ou deux fois par seconde, dans un rythme condensé. Souffle coupé qui se reprend aussitôt, qui évoque une syncope rattrapée ; une petite mort d’où l’on renait. Le rire nous aide à respirer bien qu’il puisse nous suffoquer ».(1)
Heureusement le pont sur la Loire était solide, il a résisté aux secousses de mes épaules comme l’obélisque jadis secoué par le rire de mes oncles à la Concorde(2). Fini de rire, J’ai fait gaffe après Châteauneuf en montant sur le plateau. J’ai retrouvé bonne conscience en dépannant une voiture qui avait glissé dans le fossé. En se tâtant bras et jambes, mon dépanné m’a remercié en riant d’être en vie et de n’avoir rien de cassé. C’est fou ! Non ?
(1) « Le rire est une cascade sonore par laquelle on reprend souffle après qu’il a été coupé par une différence vivace….Le rire décharge une curieuse charge signifiante dont on a reçu le choc. » Daniel Sibony le sens du rire chez Odile Jacob.
(1 bis) Le sens du rire .DB
(2) Apres la guerre ,4 oncles dans une conduite intérieure de grand confort voient leur neveu paysan en Brie traverser la place de la Concorde "à fond la caisse" dans un nuage de fumée bleue, au volant d’ une très vieille C6 sauvée de l’occupation et aménagée en camionnette, le spectacle leur a parut si cocasse qu’ils ont du s’arrêter un quart d’heure pour rire en soulevant bien haut leurs épaules. La différence vivace entre leur situation confortable dans l’industrie et la condition de leur neveu paysan a suffit pour déclencher un rire bienveillant et inextinguible. L’obélisque a tenu. Les amortisseurs ont souffert.
Le rire des dieux
"Mieux est de ris que de larmes écrire
Pour ce que rire est le propre de l'homme" Rabelais
Les dieux de l’antiquité grecque se marraient souvent. Ainsi lors des amours d’Arès et d’Aphrodite (le dieu de la guerre et la déesse de l’amour) pris au piège tendu par Héphaïstos .Ce fût un immense éclat de rire des dieux de l’olympe appelé à contempler la scène cocasse des amoureux prisonniers d’une machine infernale faite de tout un réseau de chaînes forgé par Héphaïstos ,mari trompé et dieu de la forge.(1)
Ils sont sympa ces dieux, mais peut on les prendre au sérieux quand ils font des farces pareilles et se tapent sur le ventre en se gaussant d’un cocu habile et magnifique ?
Yahvé est un Dieu unique. Un Dieu unique ne rit pas. Ce qui n’empêche pas les rabbins juifs d’avoir beaucoup d’humour (2).Je ne parle pas du rabbin ultra orthodoxe dont il faudrait s’empresser de rire de peur d’être obligé d’en pleurer, comme disait Figaro (3)..
Et le Dieu des chrétiens ? Ceux ci croient aussi comme juifs et musulmans en l’unique Dieu, mais c’est un Dieu trinitaire qui en Jésus a épousé l’humanité. Jésus nous a révélé une certaine « humanité de Dieu ». N’empêche qu’on voit mal le ciel où il siège avec le Père et l’Esprit secoué par quelque éclat de rire moqueur face à quelques bêtises des hommes, fussent ils des élus. Le rire serait donc le propre de l’homme ? Jésus dans son humanité a sans doute rit quand il a été affronté à des situations cocasses mais les évangiles n’en parlent pas. Par contre, il ne manquait pas d’humour, un humour qui désarmait ses opposants et laissaient sans voix les agélates (4) pharisiens, princes des prêtres et scribes. Ainsi quand il déjoue le piège qu’ils lui tendent au sujet de l’impôt à payer ou pas à Caesar.
« Montrez-moi un denier. De qui porte t il l’effigie ? »
« De Caesar ! »
« Eh bien ! Rendez à Caesar ce qui est à Caesar et à Dieu ce qui est à Dieu » ! Luc ch 20/20 à25
ou Un autre piège face à la femme adultère.
« La loi nous commande de la lapider .Qu’en dis tu ? »
« Que celui d’entrevous qui est sans péché, lui jette la première pierre ».
« A ces mots, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus vieux » .Jean ch8/1 à 11.
. La vie est trop courte pour la passer à regretter ce qu’on n’a pas eu le courage de tenter
“a Christian is a Sad, Sad Christian”.
(1)Odyssée VIII : « Vers le seuil de bronze accouraient tous les dieux et d’abord Poseidon, le maître de la terre, puis l’obligeant Hermès, puis Apollon, le roi à la longue portée ; les déesses, avec la pudeur de leur sexe demeuraient au logis. Sur le seuil, ils étaient debout ces immortels qui nous donnent les biens, et , du groupe de ces bienheureux, montait un rire inextinguible : Ah la belle œuvre d’art de l’habile Héphaïstos. »
(2) Cité par Daniel Sibony dans « le sens de l’humour » (odile Jacob): Un rabbin commande un costume à Pâques et il n’est pas encore fait pour la pentecôte.
-« Dieu a mis 6 jours pour créer le monde et il te faut 6 semaines pour ce costume ?
-«Regarde dans quel état est le monde et regarde mon costume ».
Oser se comparer au Créateur,n'est ce pas blasphématoire ? Non , si c’est drôle! Ce qui est moins drôle , c'est la violence des intégristes envers les soit disant blasphémateurs ! (l'actualité en est pleine)
(3)Cyril Anouna présente sur France 4 « ces animaux qui nous font rire » et non encore « ces hommes dont rient les animaux », Ça viendra peut être, juste retour des choses mais ce serait encore dans le but de faire rire les téléspectateurs et donc encore, des humains. Il n’y a pas de télé dans la jungle ni au zoo pour montrer des films spéciaux où les animaux s’en donneraient à cœur joie en contemplant les bêtises des humains.
(4) Voir note de ce blog au titre éponyme du 7/12 /2012 Aux archives de « la face claire de la nuit » ou plus simplement ci dessous .Les agélates :a- privatif et - gélatos rire .
L’agélate
L’agélate (1) c’est celui qui ne sait pas rire. « Les agelates prennent pour hérésies de joyeuses folâtreries » écrit Rabelais au cardinal de Chatillon en prologue au quart livre .Ceci est vrai des monstres froids des appareils : on ne riait pas sous l’inquisition pas plus qu’à Téhéran,au Yémen ou à Mossoul aujourd’hui, mais pas non plus sous Staline ou sous Hitler quand l’Histoire avait remplacé Dieu. On ne rit pas tous les jours non plus dans les périodes révolutionnaires même les plus chaleureuses et juvéniles .St Just avait 25 ans quand on le nommait déjà «l’archange de la terreur». Dans son fameux roman « La plaisanterie »(2), Milan Kundera nous fait découvrir l’intolérance joyeuse et candide des étudiants communistes de Prague en 1948. Incapables d’humour , ils condamnent son héros pour une simple plaisanterie griffonnée au dos d’une carte postale .Vingt ans après ,le printemps de Prague « explosion d’un scepticisme post- révolutionnaire » ,sera « une révolte populaire des modérés» écrit Kundera .Ce n’est pas encore le rire mais surement l’humour ironique de l’honnête homme qui « veut crever les baudruches en dénonçant les ravages provoqués par la prétention humaine à occuper la place que Dieu a laissé vacante. »(3) Cet humour là se rencontre à chaque page d’évangile, Jésus crève ainsi la baudruche du « chauvinisme » du Peuple « Élu ». A Nazareth ,son pays , en parlant du général syrien Naaman guérit par Elisée, il se heurte à une foule de concitoyens , Agélates furieux qui veulent le tuer (4) Face aux pharisiens, Jésus crève avec humour la baudruche de l’hypocrisie. Sépulcres blanchis, ces tartuffes pratiquent la religion pour se faire remarquer(5) Cela faisait rire les spectateurs de Molière .On pourrait citer également la manière plaisante dont Jésus déjoue les pièges tendus par ses adversaires. Ainsi le piège à propos de l’impôt du à Caesar(6) ou celui de la femme adultère(7)là aussi l’humour fait reculer les agélates dépités.
A coté de cet humour qui permet de prendre la bonne distance avec soi même, mais aussi avec les prétentieux, les hypocrites, les idéologues coincés qui « habitent leur vérité », il y a le rire :
Je ne parle pas du rire gras des chambrées ni du rire persifleur et corrosif des moqueurs professionnels, mais du bon rire éclatant qui accompagne une histoire fine, un quiproquo, une bonne blague, une « joyeuse folâtrerie ». Ce rire là est une grâce de jouvence, un grand bol d’air frais qui fait vivre et revivre. C’est le meilleur antidote contre les « agelâtes patibulaires ».
Au chêne de Membré ,c’est le rire légendaire de Sara la femme d’Abraham quand les Visiteurs lui annoncent que dans sa vieillesse elle mettra au monde un fils au printemps prochain.(8) Si un bonhomme triste est un triste bonhomme, esclaffons nous gaiement avec Sara et ses visiteurs à la barbe des tristes sires aux mines patibulaires qui ne rient que quand ils se brûlent.
(1) du grec « a-gélastos » : qui ne rit pas.
(2)Milan Kundera, la plaisanterie Gallimard
(3) Préface de Kundera pour Miracle en Bohème de Skvorecky cité par Alain Finkielkraut dans Cœur intelligent chez Stock/Flammarion
(4)Luc ch. 4 /16 à 28 : « mais lui, passant au milieu d’eux, alla son chemin. »
(5) Matthieu ch.6 / 16 à 18 : »Quand vous jeûnez… »,Ch.7 / 1 à 5 : « la paille et la poutre » etc…
(6)Luc ch.20/20à26 : « rendez à Caesar ce qui est à Caesar et à Dieu ce qui est à Dieu ».
(7) Jean ch.8/1à11 : « que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre »
(8) « Mais si Sara tu as ri ! » Aujourd’hui encore ce grand éclat de rire illumine mes oreilles. D’ailleurs à la naissance d’Isaac – en hébreu, « il a ri », tu t’écries : "Dieu m’a donné sujet de rire ! Quiconque l’apprendra rira à mon sujet » gén ch.21/6.Cité par Gabriel Ringlet dans l’Evangile d’un libre penseur (Albin Michel) .Il ajoute : « Oui Sara, je ris à ton sujet. Mais ce n’est pas un rire moqueur. Je ris de connivence, Je ris d’amitié et de complicité. »