Singin’ in the rain
Elle ne danse pas comme Fred Aster sous la pluie mais elle chante et je l’entends plusieurs fois par semaine même quand le vent vient du Nord. Une « voyette » derrière chez moi me mène en vélo jusqu’au carrefour où elle fait la manche. Quand le feu est rouge pour moi, je tends l’oreille. J’imagine qu’elle psalmodie ses demandes en passant d’une voiture à l’autre. « Mesdames, messieurs une petite pièce pour mon bébé. Il a froid, il a faim ».
Le feu passe au vert, elle laisse partir les quelques uns qui ont donné et les autres ,flot d’ indifférence et nuage de particules.
Où donc puise t elle la force de chanter quand le vent du Nord fait frissonner sa longue robe gitane ?
Les voitures s’arrêtent au rouge, Ils sont bien obligés ; mais comment, bien assis dans la voiture, peut- on entendre chanter la roumaine? L’air conditionné protège du froid, une musique douce endort la mauvaise conscience du chauffeur et puis, il faut le dire, chercher une pièce dans le porte monnaie au fond de la poche en se tortillant pour décoincer la ceinture de sécurité ,c’est très compliqué. Le feu tricolore n’attend pas qu’on ait enfin réussi à extraire le porte monnaie et la pièce qui convient. Malgré cela, Les cousins de Montpellier disent aux rom d’ici que les gens du Nord sont plus généreux que les catalans. Peut- on comparer ?Existe t il un "philomêtre"? A Dunkerque, le « chiffre d’affaire moyen » d’une manche bien faite est de 3 euros pour 5 heures de travail. Fait-on mieux à Montpellier ? J’ai bien dit, travail : virevolter autour des voitures à chaque feu rouge dans les fumées d’échappement en sollicitant les automobilistes, bras tendu avec sébile, c’est fatiguant voir épuisant. Combien d’heures de travail faut-il pour renouveler la bouteille de gaz ? De plus, que l’on chante ou que l’on exhibe une pancarte, il faut digérer les refus, les quolibets voir les insultes ou les gestes obscènes. Le matin, quand les gosses sont partis à l’école, les parents disent en allant vers le carrefour choisi : « en s’en va travailler » ! Même réponse des enfants quand on leur demande où sont partis papa et maman : « Ils sont partis travailler ».
En vélo on entend chanter dans le vent. C’est sans doute la « complainte des miséreux » mais le chant de la roumaine n’est pas triste, il respire la liberté de ceux qui n’ont rien et cette mélodie râpeuse, sauvage et douce vient du fond des âges, du temps sans doute où les ancêtres étaient soumis à l’esclavage. Quand je l’entends, je pense à un autre esclavage, celui des noirs dans les plantations d’Amérique. Eux aussi chantaient pour se donner du courage, et la mélodie de leurs chants nous rejoint encore deux siècles après. J’aimerais en savoir plus sur la force qui anime cette femme, mais le feu rouge arrête les autos et libère pour moi le vert .Je la laisse à son travail. A moi de pédaler !