Fontaine est sur la rive droite de la Marne. Les grands axes routiers sont sur la rive gauche. Comme il n’y a pas de pont au village, il faut aller le chercher en amont ou en aval. Des amis ont enterré leur mère qui venait du Grand Nord comme on dit à la météo. En fait, de Dunkerque où elle avait fermé les yeux chez ses enfants.(1) Tout le village attendait devant la petite église de pierre grise. Le corbillard conduit par un gars du Nord, étranger au pays a remonté la Marne rive gauche à la recherche de Fontaine. Il est arrivé à l’entrée de Chaumont avant de s’apercevoir de son erreur. Il avait loupé les ponts, aval et amont. Il a fait demi tour ,s’est perdu dans Bologne, et voulant rester cette fois du bon coté de la rivière a baladé la grand mère à Rocourt la côte ,Voué court ,Froncles ,Villiers ,Rouvroy ,Don jeux ,St Urbain .Là, Il est parti se perdre à Poissons et a monté les lacets de Mélaire .Voyant son erreur, il est redescendu dans la vallée, a repassé la Marne, repris la grand route , trouvé le pont pour Chevillon, traversé Bayard ,contourné l’oppidum et enfin trouvé la descente vers Fontaines où nous l’attendions patiemment(1 bis). Ce fut pour la défunte comme un tour d’honneur d’un pays qu’elle aimait et ou elle avait exprimé le désir d’être enterrée. Pour les amis, l’occasion de se rappeler des souvenirs et bien des histoires qui avaient marqué leur enfance. Toutes ces paroles coulaient comme la source de Fontaine, une bien jolie source, résurgence captée dans un bassin en pierre fine arrachée aux carrières de Sommevoire . Source que de mémoire d’homme, on a jamais vu se tarir. Intarissables, elles aussi, les paroles de mémoire gavées de souvenirs. Une heure d’attente, une bona hora (2), un bonheur dans la douceur de cette belle matinée de juin à se rappeler les bons moments passés avec la maman qui se faisait attendre pour la première fois de sa vie .Elle qui était toujours ponctuelle, rougirait de confusion sous son masque de cire si elle se rendait compte, la pauvre, qu’elle faisait attendre tous les gens du village.
Fontaine abrité des vents du Nord par un oppidum Gallo -romain boisé de vieux chênes, se serre autour de son clocher .Protégé des grands axes de circulation par une Marne capricieuse et sans ponts, le village respire tout entier dans ses pierres grises. Maisons de ferme ou maisons alignées, mur de cimetière, granges de ferme, lavoir, et même clôtures de jardins, tout ici à la noblesse de la pierre taillée de la même couleur que l’Eglise. Nous étions devant le porche à l’ombre de son clocher élevé comme une guérite, sentinelle immobile, gardant mémoire et couleur du passé . Dieu est il enfermé dans ses murs ? Irons-nous à sa rencontre en pénétrant dans le sanctuaire. Quel sens aura notre démarche ? Pourquoi emmener la maman dans cette église sombre, à la fin du parcours lumineux de son beau pays ? Le clocher égrène les jours et ce jour au rythme trine de l’angélus et midi marque les heures comme un glas .Personne ne regarde sa montre. Personne ne va au bistrot, les gens d’ici sont sages et sobres avant les enterrements. Ils font les choses dans l’ordre et attendent l’absoute. Pendant ce temps, la maman « circule »,(3)passe devant la fonderie de Bayard où son mari coulait dans la fonte des plaques d’égout et des gargouilles, contourne le bois de chêne où elle allait au printemps cueillir le muguet , descend la côte qu’elle dévalait gamine, en vélo , toute voile dehors au risque de se briser le cou.
« La mort a cheminé longtemps
Par le pays des pauvres gens
Sans trop vouloir, sans trop songer
La tête saoule
Comme une boule. »(3)
Et voici la voiture, simple, sobre et silencieuse à l’image de l’hommage rendue à la maman par les gens d’ici. Pas de « plumes majuscules » pour rimer avec « cette mort qui circule »(3) Cette mort ne « s’étale ni s’exagère » sans « cercueil écussonné, larmes d’argent et blasons d’or »(3).Le chauffeur se confond en excuses. Il croit qu’il nous a fait perdre une heure alors qu’il nous a fait gagner du temps et donné à l’enterrement toute son épaisseur d’humanité. La modernité confrontée à la mort, la met souvent entre parenthèses et l’expédie. La maman a fait un long voyage et le tour du département, mais son voyage n’est pas fini. Le vrai terme est ailleurs avec le « Partenaire d’existence »(4) Les gens d’ici, après s’être souvenu et raconté longuement la vie de la maman, entrent avec elle dans la fraicheur de l’église de pierres grises. En écoutant la Parole, vont-ils combler le vide ? Celui de leur humanité, nue devant l’absurdité de la mort ? « En Lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » proclame le diacre. (5) qui fait parler Jésus : « je suis venu apporter la vie et je voudrais qu’ils l’aient en abondance ».Cette Parole a du poids dans la bouche d’un homme qui a été lui-même confronté à une mort violente et absurde et lui a donné un sens. « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne ».La mort de Jésus a du sens ,celui d’un don d’amour .N’ouvre t elle pas l’humanité à l’absolu de l’amour ? « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».(6). Tout est dit dans ces mots que comprennent de l’intérieur tous ceux qui militent et donnent leur vie, mais aussi les mamans qui donnent la vie et en savent le prix .Pour elles, comme pour tout militant , la vie avant la mort est plus importante que la vie après la mort . "L’amour donne la vie »(7). A l’entrée de l’église comme à la sortie, le mystère de la mort restera entier pour les gens de Fontaine, mais ils ont là un mode d’emploi de la vie. Reste à monter la côte jusqu’au terme du voyage .Un grand calvaire planté sur un mur de pierres grises signale le cimetière. Il est moins vénérable mais plus expressif que le menhir de la haute borne, défi païen et antédiluvien planté, sur le plateau. A l’origine, le cimetière était au pied du clocher, Les morts s’y tenaient au chaud. Mais Ils dérangeaient la circulation, on les a déplacé à mi-côte .Le fossoyeur a mis un moteur à son bicycle et laisse ses outils sur place. Tout le village monte alors derrière la maman couchée dans la longue voiture grise , puis se serre dans le petit chemin au pied du calvaire. « Combien étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie »,(8) qui mène la maman au vrai terme du voyage auprès de notre « Partenaire d’existence » quand s’achève le parcours de son histoire ."C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumiére"(9)
(1) Des bébés phoques échouent parfois sur la plage mais la banquise ne s’y forme que tous les 20 ou 30 ans. Au Sud de la mer du Nord, Dunkerque n’est pas l’arctique mais prés de Bergues quand même !
(1 bis) vive le GPS. Qui n’existait pas à l’époque.
(2) Bona hora : une bonne heure mais aussi un bon heur. (bonheur)
(3) Emile Verhaeren les campagnes hallucinées NRF
(4)Joseph Moingt : Du deuil au dévoilement de Dieu .Cerf : « L’aventure spirituelle donne à l’homme un partenaire d’existence pour construire le parcours de son histoire, un partenaire qui accompagne et incarne le terme du voyage et que l’on nomme Dieu ».
(5) Evangile de St Jean, le prologue CH.1 /4
(6) St Jean ch. 15 13.
(7) Matthieu ch.25 /46b
(8) « Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition et nombreux ceux qui s’y engagent ; Combien «étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie et peu nombreux ceux qui le trouvent. Matthieu ch. 7
(9) Edmond Rostand.