LATRAN
Aout 70, Vespasien détruit de fond en comble le temple de Jérusalem. Pour les habitants de Palestine, en grande majorité de religion juive, et pour les juifs croyants de la diaspora, c’est la catastrophe.(1)
Novembre 320, Constantin inaugure à Rome un temple dédié à St Jean .C’est la basilique du Latran.
Trois siècles entre ces deux événements. Trois siècles de persécutions et voici le christianisme avec pignon sur rue .L ’empereur est au premier rang avec les notables de la ville dans cette cathédrale toute neuve qu’il a fait construire aux frais de l’empire .L’Eglise sort des catacombes. Le Latran sera l’église des papes pendant 1000 ans. Un palais éponyme sera leur résidence, en attendant la basilique St Pierre et le Vatican pour mille autres années. Est-ce une bonne nouvelle ? Devenue la religion officielle, l’église ne risquait t elle pas d’oublier l’Evangile ? Sortie des catacombes, ne risque t elle pas d’entrer dans des ténèbres plus épaisses encore, celles des compromissions avec le pouvoir, avec le monde ?(1bis) Ne risque t elle pas de perdre son âme avec l’oubli confortable de la dernière béatitude. « Heureux êtes vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu’ils vous rejettent, et qu’ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous et bondissez de joie… »(2)
De doctes théologiens semblent regretter le temps des catacombes et envoient aux gémonies l’église « constantinienne », leur point de vue est digne d’être entendu à la condition qu’ils vivent effectivement selon les premières béatitudes : « Bienheureux vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous, Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés, heureux les cœurs purs, ils verront Dieu , heureux ceux qui font œuvre de paix, ils seront appelés fils de Dieu».Regretter le temps des catacombes humides et froides en écrivant dans un bureau au chauffage bien réglé, , c’est facile. Les moines de Thibérine en choisissant de rester au milieu d’une population pauvre et soumise à la terreur ont pris le risque de la persécution mais ne la souhaitaient pas. Ils la craignaient plutôt, ils priaient sans doute comme Jésus au jardin des oliviers pour que le calice s’éloigne d’eux.
Demandez aux communautés chrétiennes d’Irak soumises aux attentats s’ils se réjouissent avec la dernière béatitude .Demandez aux coptes d’Egypte s’ils bondissent de joie quand des fidèles sont assassinés.
En conclusion, vivons les premières béatitudes à la suite de Jésus et comme « le serviteur n’est pas au dessus du maître », les oppositions, et les critiques viendront toutes seules..
Savez vous que Luc ne s’arrête pas là, il enfonce le clou avec quatre « maltitudes ».Sont malheureux : les riches, les repus, ceux qui ricanent, ceux dont on dit du bien. (3) Car :
« A quoi sert de gagner l’univers si l’on en vient à perdre son âme ? ».(4)
Le président de la République française est de par sa fonction chanoine du Latran ? Le pape lui prêche sans doute les béatitudes quand il va le voir ? Ose t il lui servir aussi les « maltitudes » ?
Bernard Potvin porte parole de l’épiscopat à propos du centenaire du diocèse de Lille compare les mains de l’’Eglise à celles de « la mère Denis », vieille lavandière aux doigts gercés par l’eau froide de la rivière. On est loin de la vision de St Jean dans l’apocalypse. « Je la vis, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel. Comme une fiancée parée pour son époux»(5)
Quelle soit toute ridée comme « la mère Denis » ou toute jeune et belle comme la voit Jean au premier siècle, l’Eglise n’a-pas besoin de temple ; du moins Jean n’en voit pas dans sa vision de la ville sainte mais que l’église soit au centre de la cité comme depuis Constantin ou en périphérie comme le monde d’aujourd’hui l’a reléguée, qu’elle soit comme Le Latran à Rome , une baraque dans une favela ou même une simple pierre tombale dans les catacombes , l’important c’est qu’elle ait un toit pour protéger de la pluie les pierres vivantes que sont les fidèles rassemblés dans le <Seigneur> leur vrai Temple . S’enrhumer en priant, voila tout! mais prier en éternuant, en toussant ou en se mouchant bruyamment, ça peut empêcher des frères d’entrer charnellement dans le rite qui « mieux que la pensée, exprime le désir, le met en geste »(6). la communion se vit dans une espérance partagée mais aussi la chaleur de la fraternité. Dans un village proche de chez moi, il y a un clocher que flanque une église entouré du cimetière. Des mouvements de terrain ont fait bouger les fondations. On ne peut utiliser le bâtiment sinon pour faire sécher les tuyaux d’incendie. Les fidèles se réunissent dans une salle prêtée par la mairie et trouvent cela très bien. Le clocher devient pigeonnier et simple signal dans le paysage. La messe est devenue marginale ," sans cloches sinon le curé " mais comme le rappelle Jean pierre Denis c’est dans la marge qu’on inscrit les remarques les plus éclairantes. Marginalisée , se retrouver de nouveau à la périphérie comme dans les premiers siécles ,l’Eglise a de la difficulté à le vivre si j'en crois les chrétiens de Swiebodzin qui dressent une statue de Jésus de 36 métres de haut et de 440 tonnes au centre de leur ville .
(1) Quelqu'un m'a demandé s'il avait fait les" vespasiennes" avec les débris du temple ! Pourquoi pas ? Ne sont ils pas "fous ces romains" ?
(1bis)En conquérant le centre, la périphérie se banaliserait. « le sel perdrait sa saveur » , écrit Jean Pierre Denis à propos de la contre-culture (Pourquoi le christianisme fait scandale. le Seuil).
(2) Luc ch.6/22
(3) Luc ch. 6/ 24 à 26 : Maltitudes, néologisme de ma production, avec toutes mes excuses pour ce raccourci. Les voici : Malheureux vous les riches : Vous tenez votre consolation. Malheureux vus qui êtes repus maintenant : Vous aurez faim .Malheureux vous qui riez maintenant : Vous serez dans le deuil et vous pleurerez. Malheureux êtes vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous : C’est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes.
(4) Luc ch.9/23 à 25
(5) « Elle brillait de la gloire même de Dieu. Son éclat rappelait une pierre précieuse comme une pierre d’un jaspe cristallin ….. La place de la cité était d’or pur comme un cristal limpide…….Mais de temple, je n’en vis pas dans la cité, car son temple c’est le Seigneur»
(6) Jean Pierre Denis. Pourquoi le christianisme fait scandale le seuil « Si le croire se coupe du sentir, il n’est rapidement plus rien et surtout ne répond plus à rien parce que, comme de la mauvaise musique, il n’entend plus rien.