La beauté
« Dans un univers de plus en plus marqué par l’obsession de la satisfaction immédiate, l’appât du gain, la recherche du profit, le primat de l’avoir, il est frappant de constater non seulement la permanence mais le développement d’un intérêt pour le beau….aspiration à une «autre chose » qui puisse enchanter l’existence et, peut être même, l’ouvrir et la porter au-delà d’elle-même. Expérience de gratuité… évidence avec laquelle elle emporte l’adhésion au-delà de tout discours …indicible joie dans son étrangeté même…l’expérience esthétique peut représenter un «analogue suggestif de l’expérience à laquelle appelle la foi chrétienne …Ne faut il pas articuler la voie esthétique avec la poursuite du bien et la recherche du vrai ? ».(1)
Aux funérailles de son père, grand industriel ,grand chasseur ,grand connaisseur et grand amateur en art contemporain, son fils aîné a pris la parole : « Papa, ils sont venus nombreux ceux qui t’ont accompagné dans ton travail durant de longues années, ceux avec qui tu as assouvi ta passion de la chasse, ils sont venus nombreux pour te dire qu’au fond ton originalité ,ta vision, ton éclectisme, ton grand cœur, ta bonté leur ont fait découvrir autrement le beau, cette chère beauté que tu as longuement et patiemment découverte. Vas tu la retrouver cette beauté avec certitude en suivant ce fantôme errant des « âmes perdues »(2) qui d’Est en Ouest, du lever au coucher du soleil, entre nuages et pluies, a transporté ton esprit vers je ne sais quel au-delà ? Vas tu la retrouver cette beauté en suivant la « peule » de jean Rouland (3) inspiratrice d’art africain…… qui t’a fait voyager dans un monde insoupçonné ? Vas tu enfin la retrouver cette beauté à travers ces tableaux et ces sculptures, fenêtres vers l’infini, captée par ces artistes originaux et fous ? Papa ,si tu rencontres réellement cette beauté qui t’a fait courir et rêver, reste quelques temps sur cette « terrasse des âmes perdues » à y attendre celle qui t’a accompagné toute ta vie pour lui faire partager encore une fois la réalité de cette beauté et qu’ensemble vous rentriez dans le paradis des âmes »
La recherche de la beauté révèle « une aspiration à « autre chose », «elle enchante l’existence et peut être même, l’ouvre et la porte au-delà d’elle-même » (1) Voila, il me semble ce qu’a perçu ce fils dans la quête inlassable de son père. Une ouverture au-delà de lui-même., « une fenêtre vers l’infini ».
« L’artiste vrai est celui qui écoute…se laisse recréer par son sujet…communie assez profondément à son mystère pour percevoir la Présence invisible qui le fascine en lui …s’exprime dans l’impalpable irradiation qui fait de son œuvre la confidence silencieuse d’une éternelle rencontre ….L’élan qui emporte l’artiste nous entraîne à notre tour…nous ne sommes plus devant une œuvre, mais à l’intérieur d’une confidence mystérieuse où notre cœur se brule au contact d’une réalité infinie. Quelque chose de meilleur que nous, vit en nous. »(4)
Dans une « lettre à ses neveux »(5) tante dédette dominicaine contemplative parle longuement de la beauté. Elle évoque la beauté des femmes dans la bible : Sara femme d’Abraham et sa belle apparence, gen 12/11,la beauté de Rébecca femme d’Isaac, gén 24/16 .La belle tournure de Rachel la femme de Jacob ,gén 29/17, mais aussi les beaux yeux de David ,1 Samuel 16/12 . Elle nous invite à admirer « l’extraordinaire beauté de la nature : un coucher de soleil superbe, une belle nuit étoilée, un chêne centenaire ou un pommier en fleurs » Elle parle aussi des roses et des violettes et de leur parfum, des animaux depuis le cheval jusqu’aux abeilles. Avec le regard neuf d’une contemplative qui « grandit en enfance »,elle nous invite à accueillir cette « Beauté extraordinaire de la création, merveilleux berceau que Dieu a fait pour l’homme ….un homme qui est lui même de toute beauté car créé à l’image de Dieu. » « Dieu a créé le monde pour faire du beau à sa ressemblance Lui qui est le beau par excellence. En se posant sur les choses le regard de Dieu les rend belles .Il nous faut savoir nous aussi les regarder avec un cœur qui s’émerveille, développer en soi cet art du regard bienveillant jusqu’à transformer en beau ce qui est laid ».
Mais le mal existe avec son cortège de laideurs ! C’est vrai que tout n’est pas beau, mais peut-on dire comme certains, que Dieu laisse faire le mal et permet la laideur ? « Non, hurle Maurice Zundel : « Dieu ne permet jamais le mal, il en souffre, il en meurt, il en est le premier frappé »… « Dieu dans l’univers est Amour, l’amour est crucifié partout où il y a une douleur, une souffrance, un désespoir, une solitude, une mort. Le mal peut crucifier Dieu dans une vie d’homme ». « L’ ’enfer n’est pas le châtiment que Dieu inflige à sa créature pécheresse, c’est l’éternelle crucifixion de Dieu par l’homme. L’enfer il est en nous quand Dieu n’est plus en nous, il est l’échec de Dieu en nous».Aux funérailles dont je parle plus haut, on a évoqué le grand tableau du crucifié de Caras devant lequel s’est faite la mise en bière dans le bureau du défunt et aussi les bronzes torturés de Rouland qui hantent sa maison : « J’ai eu faim, soif, j’étais en prison, malade »(6). Il y a des beautés tragiques, des beautés grimaçantes qui dans leur vérités cruelles atteignent le sublime, font mouche dans le cœur de l’homme et illustrent avec vigueur les paroles les plus fortes de l’Evangile.
- (1)Joseph Doré La grâce de croire Éditions de l’atelier.
- (2)Grande statue de Dodeigne sous les fenêtres de son pére
- (3)Jean Rouland : ami de toujours du défunt sculpteur de l’œuvre appelée « la peule »
- (4)(Maurice Zundel Évangile intérieur. Desclée Debrouwer
- (5)Lettre circulaire Juillet 2005.
- (6)Matthieu 25 : Le Christ affirme de manière très réaliste sa présence dans ceux qui souffrent : amour crucifié dans une vie d’homme ».