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proust

  • le cri du corbeau

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                 Ami entends tu  le vol noir du corbeau sur nos  plaines " Maurice Druon" .Londres.

     

      Je me suis enfermé comme Proust à la recherche du « temps perdu »pour écrire cette note. le double vitrage me protége du bruit des voitures mieux que le capitonnage de son bureau  couvert de liége.Tout a commencé ce matin.J'ai aéré  la pièce  et dans les  pauvres arbres qui entourent  ma petite maison, J’ai entendu  coasser un corbeau .Alors tout est revenu.

    Là ou j’habite, j’entends jacasser des pies , siffler le merle,gémir les mouettes, roucouler des tourterelles au temps des lilas  mais  jamais les corbeaux.  C’est une banlieue, disons aérée. La maison   est toute proche d’une  bretelle  d’autoroute. Une « pénétrante », comme ils disent .Le terrain était inconstructible, ils ont laissé la maison  , construite  avant le schéma directeur  et  des arbres ont poussé  alentour. Est-ce le printemps  ensoleillé et la sécheresse  qui  l’a conduit chez moi ? Toujours est il  que ce matin, j’ai nettement entendu  coasser le corbeau  et me suis retrouvé  sans délai plus de 40 ans en arrière  par un jour de grand vent dans l’avenue  qui  mène  à la maison de mes parents. J’ai fermé ma fenêtre au double vitrage et pris ma plume, tout heureux de  jeter sur papier ce « temps retrouvé ». Cette avenue était  un   lieu de rendez vous   pour corbeaux " sociabilisés".  C’était  à  l’heure du café après le  repas du Dimanche. A mon approche,  les oiseaux noirs à reflets bleus  décollaient dans un haut bavardage,  joyeux ramage au sommet. Les troncs   des ormes,  alignés  et stables comme les colonnes d’un temple laissaient échapper  des  chapiteaux    arborescents et agités.  Les longues branches   comme autant de bras  dépassant  d’ une foule d'auditeurs  passionnés, ,  se balançaient ,bras de fans ,  au rythme  de la  chanson  du vent . Elles  faisaient voûte  gothique au dessus de  l’allée ,.

    J"allais souvent  voir  mes vieux parents le Dimanche midi pour le déjeuner. Après le café

    si   on n' avait  pas de projet de  visite à quelque cousin ou de  ballade en voiture, je les laissais à leur fauteuil et à leur sieste , et  je faisais un tour, promeneur solitaire à la rencontre des corbeaux .C’était des «  freux », nomades sans être vraiment  migrateurs, ils  aimaient se retrouver en bandes  et ça s’entendait  . Ils avaient  squatté   les grands arbres  et s’y retrouvaient    même ,dit on, au couchant  pour chuchoter sous la lune jusqu'à l'aube. .Dans la campagne,par contre  cherchant nourriture   dans les champs fumés et sous la neige, ils faisaient taches.Joyeux sous les grands arbres,Ils avaient   dans la plaine  quelque chose d'inquiétant .Ils  me faisaient penser, je ne sais pourquoi,  aux corbeaux que met en scène Villon dans sa ballade des pendus. (1).   Bruegel, ci- dessus, dans ses paysages d’hiver a su les peindre  en noir sur blanc. En été, il les renvoie dans les clochers ou les tours de château. Plus tard, durant l’âge d’or  de leur art, les peintres flamands   les expédieront   très haut dans   les cieux bleus et blancs de leur plat pays .Ciels  d’une profondeur   étonnante    quand  on les  entrevoit    dans les  baies ouvertes  de leurs  riches intérieurs. Dans  le lointain, les corbeaux  deviennent  alors des points, des virgules  ,des trémas,  simples ponctuations dans l' azur.Faut il comme Brassens  faire rimer"  la rosée qui s'évapore avec  les oiseaux qui picorent ? oui, mais sans confondre  la plaine flamande avec les jardins du roi Louis .  En bande , en" gang",en essaim , charognards  silencieux,  ils se taisent la bouche pleine tandis que je fais  le tour du carré ..Le  carré, c’est la pièce  , la plus proche de la ferme. On en faisait le tour  en un bon quart d’heure .C’était la promenade  du soir proposée par mon père aux enfants quand il prévoyait un joli  coucher de soleil. Le couchant  avec ses chaudes couleurs  le fascinait . La maison d’ailleurs était  ouverte à l’arrière   vers le couchant et  il avait aménagé le paysage pour  admirer le disque  rouge   au fil des saisons. Le tour du carré ou je vous emmène  me rappelle mon enfance et cette paisible promenade du soir  en famille à une époque où  il n’y avait pas d’images en boîte. Il fallait  marcher à la rencontre du paysage,et  voici   un  nouveau   temps retrouvé à la recherche du temps perdu. Soudain, je suis rejoint,  tandis que j'écris ces souvenirs , par  le même cri  que ce matin venant du petit bois qui entoure ma maison.J'ai eu l'imprudence d'entrouvrir  ma fenêtre.Le cri du corbeau , ce matin, m’a fait voyager  dans  mes souvenirs d' enfance et le voila de nouveau qui me rejoint alors que je n'ai pas fini ma note. Ce corbeau est  bavard . A t il décidé de devenir mon ami ? d'ouvrir une conversation  sur  " face boock" ?  Va t il ameuter ses amis pour me jouer un ramage "concerté"ou plutôt  un concert à raviver les souvenirs(1bis) ,à m'entraîner à la recherche du temps perdu ? Je n'aurai pas la plume assez fine  pour  entamer comme Marcel Proust   l'écriture  de  cette recherche en  une série impressionnante de volumes aux écritures serrées.

      Si, en le flattant comme le  fit  le renard de la Fontaine, je réussissais  à  lui faire ouvrir le bec, son ramage donnerait t'  il  une réponse à mes questions ? «  Il n’est pas possible qu’une musique, une sculpture ,un cri qui donne une émotion plus élevée, plus pure, plus vraie, ne corresponde pas à une réalité spirituelle ,ainsi rien  ne ressemblait plus qu’ une belle phrase de  cette musique ….à ce plaisir particulier que j’avais parfois éprouvé dans ma vie  par exemple  devant les clochers de Martinville, certains arbres d’une route de Balbek ou plus simplement au début de cet ouvrage  en buvant  une certaine tasse de thé » .J'ajouterais ,le plaisir d'entendre le concert  d'un ramage en plein vent ou  le bonheur de faire le tour du carré  au couchant avec mon père ,mes frères et ma sœur.

    Je vous ai entrainé dans mes souvenirs . Le tour du carré s’achève .Il est temps de rentrer .C’est l’heure du thé et de la madeleine qu'on y trempe. Ne perdez plus  de temps à vous promener dans mes souvenirs  à la recherche du temps perdu.

    Joseph Czapski (2)dit que Proust a été marqué par Bergson et sa "durée pure "(3) La vie  est continue et notre perception discontinue .Proust vainc cette  discontinuité par l'intuition et une mémoire "fluminale" toute en méandres .Je sors du labyrinthe  de mes souvenirs   et ferme la fenêtre. Il s'est mis à pleuvoir, le corbeau  bohème et voyageur est parti rejoindre les siens,  dans" la plaine,la plaine immensément,à perdre haleine (4). 

     


     

     (1) La pluie nous a débués  et lavés

    Et le soleil  desséchés et noircis

    Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés

    Et arrachés la barbe et les sourcils

    Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre...

    Ne soyez donc de notre confrérie

    Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre.

    (1bis)Dans un amour de Swan,Proust parle d'une soirée organisée  par Charlus chez les Verdurin ."Le concert commença .Je ne connaissais  pas  ce qu'on jouait. J'étais en pays inconnu.".Le thème   resta gravé dans la mémoire.Il suffira  de trois notes pour   réveiller le souvenir de cette soirée  et "d'Albertine" sans doute.

    (2) Proust contre la déchéance .  éditions noir sur blanc. Joseph Czapski.

    (3)Durée pure et non purée dure, bonne pour " la picore". 

    (4) Emile Verhaeren Les campagnes hallucinées. Gallimard.